Ali Mohebbi rayonne. Sa vie a changé pour un mieux. Enfin, sécurité et respect dominent son quotidien. Il achèvera son cours intensif d’allemand à la fin du mois et a d’ores et déjà reçu de bonnes notes. Et si son stage au sein du cabinet d’architectes se passe bien jusqu’au début de l’été, il aimerait fêter cela en allant se baigner dans l’Aar.
Un contraste frappant avec son long et douloureux exode d’Afghanistan, qui l’a d’abord mené en Iran, puis en Grèce en passant par la Turquie. Il a dû endurer deux longues et terribles années dans le camp surpeuplé de personnes réfugiées de Moria sur l’île de Lesbos. « J’ai vraiment tout essayé pour mener une vie autonome en Grèce, mais quelqu’un comme moi n’a aucune chance là -bas. » Avec une prothèse de jambe, Ali est considéré comme un réfugié particulièrement vulnérable. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) est en contact avec lui depuis 2020. « Je suis très reconnaissant aux autorités suisses en matière d’asile de m’avoir accordé un droit de séjour provisoire en mars 2022. »
Au commencement, un cours de natation
Aujourd’hui, l’ancien étudiant de Téhéran d’origine afghane planifie son avenir en Suisse pas à pas, avec l’aide de Catherine et de Pierre. « Le fait de pouvoir rapidement structurer leurs journées facilite non seulement le parcours d’intégration des personnes qui arrivent, mais aussi la cohabitation », affirme Catherine. « Quand Ali est arrivé chez nous, nous avons découvert un homme distingué et charmant. Nous discutons sur un pied d’égalité et apprécions nos différences. » Ce que confirme Ali : « Nous parlons beaucoup en allemand, cuisinons et mangeons ensemble, chantons et dansons, planifions et apprenons. C’est une expérience très agréable qui m’aide beaucoup. »
Ali est sportif et aime l’eau depuis son plus jeune âge. Dès qu’il s’est vu attribuer une place dans un hébergement collectif du canton de Berne en décembre 2021, il a déniché et essayé différentes activités sportives, notamment un cours de natation tous les lundis soir. C’est là qu’à l’été 2022, il a demandé à ses camarades où il pourrait trouver une chambre : avec l’admission provisoire, la recherche de logement et de travail était désormais une priorité. On lui a alors donné le numéro de téléphone de Catherine et Pierre. Le couple s’engage depuis longtemps pour les personnes requérantes d’asile, avec à la clé de nombreuses belles expériences, comme en témoignent leur enthousiasme et la profonde compassion qui transparaît de leurs récits sur leurs diverses colocations.
Ali a eu de la chance : une chambre venait tout juste de se libérer après le départ d’un colocataire afghan. Une tasse de thé plus tard, c’était un « oui » unanime à la cohabitation. Le contrat de sous-location a été signé, le service social pour l’asile informé, et Ali a pu quitter l’hébergement collectif pour emménager dans sa chambre meublée à la fin du mois de septembre 2022.
Le positif l’emporte
Selon Catherine et Pierre, il est important d’aider les nouvelles personnes arrivantes à gérer un système de soins de santé axé sur le profit. « Nous en connaissons aujourd’hui un rayon sur les prothèses », indique Pierre. « C’était pour nous un nouveau défi. Ali souffrait beaucoup quand nous l’avons rencontré pour la première fois. Nous l’avons emmené voir des médecins, des physiothérapeutes et des fabricants de prothèses, nous avons traduit pour lui et nous l’avons aidé à se créer un bon réseau. Nous lui avons aussi expliqué comment notre société est organisée, pourquoi nous payons des impôts, comment les caisses-maladie fonctionnent, que nous avons des droits, mais aussi des devoirs. »
La cohabitation requiert de l’ouverture, de la fiabilité, du temps et du respect d’un côté comme de l’autre. Pour ces deux personnes au grand cœur, des rencontres d’échange hebdomadaires et une bonne relation avec le service social pour l’asile jouent un rôle important dans la cohabitation. De leur propre aveu, « il y a bien entendu aussi des revers. C’est douloureux d’apprendre qu’un apprentissage est interrompu du jour au lendemain ou de voir à quel point les difficultés dans leur pays d’origine accablent nos colocataires. » Mais pour Catherine et Pierre, le positif l’emporte incontestablement : « Les discussions passionnantes, les nouvelles rencontres avec l’entourage de nos colocataires, leurs succès en allemand, à l’école, dans leur apprentissage ou au travail... L’échange avec les autres bénévoles et la gratitude des parents de nos colocataires nous procurent aussi beaucoup de plaisir. Nous voyons presque chaque jour ce qui est possible quand nous ouvrons nos cœurs et nos maisons et gardons confiance en dépit des difficultés. »
Une petite racine Ă Berne
Ali montre un carnet bleu intitulé « confiant ». Catherine, Pierre et lui y inscrivent leurs idées, les contacts importants, les rendez-vous et les notes après les séances ou les entretiens d’embauche. « Je peux tout demander à Catherine et Pierre », affirme l’homme de 30 ans avec satisfaction. « C’est vrai », ajoute Catherine. « Notre colocation offre aussi un espace sûr et protégé pour les questions personnelles sur l’amitié et l’amour. »
La procédure d’intégration linguistique, sociale et professionnelle va plus vite avec le soutien d’ami-e-s suisses, car il y a moins de détours inutiles. Mais les succès aussi sont essentiels. Et Ali en a précisément connu un lors de l’entretien d’embauche pour son stage au sein d’un cabinet d’architectes. « Je pouvais comprendre tout ce qu’on me disait. On me parlait lentement et clairement. Je me sentais vraiment respecté. »
Quelques jours plus tôt, Ali avait demandé à ses hôtes autour d’une tasse de thé : « Où puis-je planter mes racines ? Où puis-je être un être humain ? » Cette colocation ici en Suisse, au cœur de la société, pourrait bien être un début de réponse.