Par Barbara Graf Mousa, rédactrice à l’OSAR
Qu’arrive-t-il sur le plan psychologique aux enfants et aux jeunes qui doivent quitter leur famille ?
Que cette séparation ait lieu de leur propre initiative ou à la suite d’une décision au sein de la famille, elle creuse toujours une grave fracture dans leur vie. Les enfants et les jeunes concerné·e·s perdent de façon souvent brusque et inattendue des êtres qui leur offraient jusque-là une sécurité, un appui et une orientation dans un rapport de confiance. Une telle perte peut engendrer un surmenage, un sentiment d’impuissance et une perte de repères et est souvent corrélée à un stress intense.
Qu’en est-il en cas de séparation brutale pendant l’exil ?
La perte est souvent traumatisante et constitue une menace existentielle. Il faut continuer de fonctionner pour survivre tout en devant composer avec de douloureuses sensations de deuil, de peur et de colère qui se succèdent et sont souvent combinées à des sentiments intenses de culpabilité et de honte. Quand une perte n’est pas établie avec certitude, l’esprit lutte entre impuissance et espoir. C’est une tourmente indicible de ne pas savoir si des êtres chers sont encore en vie ou non.
Quels effets l’expérience de l’exil peut-elle avoir sur des enfants et jeunes réfugié·e·s isolé·e·s ?
Les facteurs de protection interagissent avec les facteurs de risque. Ces derniers sont par exemple l’âge, le sexe et le degré d’instruction de l’individu, le nombre et la nature des événements vécus et des personnes se trouvant dans la même situation, les facteurs économiques et la durée de l’exil. Les facteurs de protection incluent l’éducation, le statut socioéconomique, des liens stables et une résilience accrue. Pour schématiser, le risque de graves événements traumatisants est infiniment plus élevé pour une petite fille de neuf ans venant d’un pays où les femmes n’ont pas accès à l’éducation qui fuit seule par la mer que pour un jeune de 15 ans qui arrive en Suisse par avion, grâce à un visa, peu avant la fin de sa scolarité obligatoire.
Les personnes mineures réfugiées isolées possèdent-elles des compétences particulières ?
En raison de leur expérience de l’exil et des responsabilités qu’elles ont dû assumer, les personnes mineures réfugiées isolées peuvent développer des compétences sociales largement supérieures à la moyenne de leur âge. Elles ont dû trouver elles-mêmes des solutions à chaque problème sur la route de l’exil. Elles ont pu acquérir une « efficacité personnelle » dans les pires circonstances imaginables, ce qui atténue le sentiment d’impuissance. Elles présentent souvent une capacité élevée d’adaptation sociale, ont, sans surprise, un besoin accru de contrôle et souhaitent participer.
Pourquoi les événements des premiers jours et semaines suivant l’arrivée des enfants et des jeunes du domaine de l’asile et leur cadre de vie revêtent-ils une importance existentielle ?
Pour que ces jeunes puissent se poser et sortir du « mode exil » dans lequel elles et ils se trouvent depuis des mois voire des années, des lieux sûrs, des personnes de référence fiables et des offres notamment éducatives leur permettant de structurer leur journée sont recommandés. Ce qui se joue aussi en fin de compte, c’est un besoin de normalité et, à moyen terme, la possibilité d’envisager des perspectives d’avenir, un aspect central du développement à leur âge. Un manque de sécurité, de constance et de perspectives conjugué à des sensations de détresse, de fatalité et d’impuissance qui perdurent après l’arrivée augmente la contrainte psychique et, avec elle, la probabilité de troubles et maladies psychosomatiques. Des troubles du sommeil, des difficultés à réguler ses sensations accompagnées d’un comportement agressif ou régressif, des tentatives d’automédication au moyen de substances illégales, des actes d’automutilation et des idées suicidaires peuvent alors s’observer chez les personnes concernées.
Y a-t-il des approches que l’on sait particulièrement efficaces pour composer avec un traumatisme ou d’autres difficultés psychiques ?
Pour simplifier, ce sont des enfants qui arrivent chez nous, pas des jeunes adultes, même si c’est souvent comme cela qu’on les voit. Il leur faut un environnement et un accueil adaptés à leur âge, ainsi que des possibilités de contrôle, de codécision et de participation. Cette participation et des structures quotidiennes fiables sont importantes afin d’offrir une stabilité à des jeunes présentant des troubles post-traumatiques, ce qui implique de les prendre au sérieux, de lentement rétablir la confiance perdue et de développer des perspectives ensemble. Tout cela prend du temps.
Les activités de loisirs peuvent-elles aider ?
Les possibilités sportives et ludiques peuvent faire du bien aux enfants et aux jeunes, car elles les motivent à bouger, réduisent le stress et apportent une distraction. Elles offrent des moments d’insouciance et, lors d’activités de groupe, un sentiment d’appartenance. Elles peuvent apaiser les souffrances psychiques au niveau physique. Au niveau mental, le sport et le jeu permettent aux personnes concernées de se sentir actives, de découvrir leur efficacité personnelle et de travailler leurs compétences sociales. Je pense ici à un groupe de jeunes Afghans qui avaient formé une équipe de cricket et faisaient donc régulièrement du sport. C’est un genre de « lien » avec le pays d’origine, qui renforce la confiance en soi et éveille la curiosité d’autres jeunes.
Que conseillez-vous au personnel d’encadrement des logements collectifs pour personnes requérantes d’asile dans leur travail avec des enfants et des jeunes non accompagné·e·s ?
J’ai un grand respect pour le travail mené par ces personnes dans les centres et je ne me permettrais pas de leur donner des conseils. Concernant la santé psychosomatique et le développement personnel, il peut être bénéfique pour une personne mineure de se sentir suffisamment protégée et en sécurité. C’est possible au niveau structurel au moyen d’hébergements adaptés, d’un traitement rapide des demandes d’asile, mais aussi d’offres relationnelles fiables, constantes et respectueuses avec des personnes de référence qui servent de modèles aux jeunes. Cela leur permet de découvrir les points communs et les différences entre leur culture d’origine et leur culture d’accueil et de se confronter à la formation, souhaitable, de leur identité biculturelle.
Quel effet les auditions ont-elles sur les enfants et les jeunes ?
Il est extrêmement éprouvant et humiliant pour les enfants et les jeunes de raconter les détails les plus intimes d’expériences traumatisantes en présence de plusieurs personnes inconnues, en se voyant parfois poser des questions critiques à répétition. Cela peut passer pour de la méfiance à leurs yeux et les blesser. Une situation de stress aussi intense peut aussi affecter la mémoire.
Peut-on préparer les personnes mineures à leur audition ?
L’expérience clinique avec des jeunes ayant vécu des expériences traumatisantes montre que les informations factuelles fournies par les représentant·e·s juridiques ne suffisent pas. Ce qui bénéficie aux personnes mineures, c’est une préparation très concrète, visualisée et axée sur les actions et les expériences parce qu’elles n’ont ni la capacité ni la volonté de s’imaginer la situation ou leurs réactions. L’expérience le prouve, une collaboration interdisciplinaire soulage et aide toutes les personnes impliquées.
À quoi faut-il faire attention pour mener l’entretien lors des auditions ?
Le côté très méthodique de ces entretiens agace les enfants et les jeunes, qui peuvent parfois y percevoir, à tort, un désintérêt. Il faut leur expliquer pourquoi l’entretien se déroule de cette manière et pourquoi les questions sont posées de façon rationnelle en laissant en apparence peu de place à l’empathie. Il pourrait être bienvenu d’investir plus de temps dans des mesures qui instaurent la confiance pour que les personnes mineures se sentent en sécurité et prises au sérieux. Souvent, elles vivent la procédure d’asile comme une humiliation qui les expose à nouveau à l’impuissance et à la détresse et montrent après coup d’intenses sensations de deuil ou de colère.
Y a-t-il eu, dans votre travail auprès d’enfants et de jeunes non accompagné·e·s dans le domaine de l’asile, des aspects, des rencontres, des expériences inattendues et surprenantes ?
Je suis constamment stupéfait par la part de résilience des jeunes qui émerge pendant la thérapie et redevient disponible. J’ai également un profond respect pour ce que ces jeunes ont surmonté et accomplissent chaque jour dans l’espoir d’un avenir meilleur. Les voir chercher individuellement des moyens et des possibilités de retrouver confiance et commencer à se confronter à leur propre identité biculturelle malgré les graves violences interpersonnelles vécues me fait penser aux vignes qui, en apparence sans vie après leur sommeil hivernal, forment tout à coup de nouveaux bourgeons et reprennent vie. Cet espoir et cette assurance me confortent dans l’idée que les choses peuvent changer et que l’être humain peut aller mieux après de profondes blessures psychiques.