Suite à la prise du pouvoir par les talibans, la situation humanitaire en Afghanistan se dégrade de jour en jour, de même que la détresse des personnes fuyant les talibans. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) salue la décision du Conseil fédéral d’accueillir en Suisse une quarantaine d’employés locaux du bureau de la Direction du développement et de la coopération (DDC) à Kaboul et leurs familles nucléaires dans le cadre d’une action humanitaire. Mais compte tenu de la situation catastrophique qui règne sur place, le Conseil fédéral ne peut en rester là .
Des étapes et mesures supplémentaires s’imposent de toute urgence, de l’avis de l’OSAR :
1. Apporter une aide humanitaire d'urgence et permettre des Ă©vacuations rapides
Selon les indications du HCR, 2,2 millions d'Afghans s’étaient déjà réfugiés dans les pays voisins, l'Iran et le Pakistan, à la fin de 2020. Quelque 2,9 millions de personnes sont actuellement déplacées à l'intérieur des frontières de leur propre pays. On estime que leur nombre a augmenté d’environ 550’000 depuis le début de l'année. Cela fait des années que l’OSAR attire l'attention des autorités suisses sur la situation inquiétante des droits humains et les conditions de sécurité précaires. Or, on observe maintenant une aggravation dramatique. Les personnes en fuite ont urgemment besoin de soutien, en particulier dans les pays de premier accueil. Il leur faut avant tout des abrisd’urgence, de la nourriture, des soins de santé, des raccordements d’eau et des installations sanitaires.
La Suisse doit donc immédiatement
- apporter une aide humanitaire d’urgence et assurer notamment un soutien financier et des livraisons de biens de secours aux organisations internationales actives sur le terrain, comme le CICR et le HCR ;
- soutenir les efforts de la communauté internationale pour l’évacuation immédiate des réfugiés d’Afghanistan, en particulier du personnel local des ONG suisses et d’autres organisations, ainsi que leurs familles, en coopérant notamment avec des ambassades d’autres pays ;
- consolider le soutien aux pays voisins qui accueillent la plupart des réfugiés, en particulier l'Iran et le Pakistan.
2. Un accueil rapide, sans complications administratives
Faciliter l’obtention de visas et accélérer le regroupement familial
Le droit d'asile suisse comporte déjà des instruments qui peuvent être utilisés pour permettre aux personnes en quête de protection de se rendre en Suisse rapidement et en toute sécurité, par exemple l’attribution de visas humanitaires et la possibilité du regroupement familial.
D’après l'Ordonnance sur l'entrée et l’octroi de visas (OEV), les personnes confrontées à une menace concrète, immédiate et sérieuse peuvent demander un visa humanitaire auprès d'une représentation diplomatique suisse à l'étranger. Mais la Suisse n'a pas de représentation en Afghanistan. Pour adresser une demande, il faut passer par la représentation d’un autre pays (notamment l’Iran, le Pakistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan). Les demandes sont alors examinées en collaboration avec le Secrétariat d’État aux migrations (SEM).
La pratique actuelle est toutefois très restrictive : les personnes concernées doivent avoir un lien étroit et actuel avec la Suisse, par exemple des membres de leur famille établis dans notre pays avec qui ils entretiennent des relations étroites et régulières, ou avoir précédemment séjourné longtemps en Suisse et tissé un lien étroit avec notre pays ou encore avoir exercé une activité professionnelle exposée pour le compte d’une organisation gouvernementale de Suisse jusqu’à la reprise du pouvoir par les talibans. Par ailleurs, l’examen des demandes prend beaucoup de temps.
La Suisse doit par conséquent
- faciliter et accélérer immédiatement l’attribution de visas humanitaires pour tous les Afghans menacés, sans exiger un lien avec la Suisse
et
- faciliter immédiatement l’octroi de visas de visite pour les Afghans qui ont des membres de leur famille titulaires d’un permis de séjour ou d’une admission provisoire en Suisse, sans examiner de façon approfondie s’ils courent un danger personnel et immédiat, comme cela s’est déjà fait en 2013 et 2015 pour les réfugiés de guerre syriens, en collaboration avec la Croix-Rouge suisse (CRS) ;
- garantir aux proches ou à d'autres personnes de contacts établies en Suisse la possibilité d’adresser à l'avance une demande écrite de visa humanitaire ou de visa de visite au SEM à des fins d'examen préalable, étant donné que la fermeture des frontières empêche actuellement les personnes vivant en Afghanistan d'accéder physiquement à une représentation suisse dans un État voisin.
Prévoir des contingents de réinstallation supplémentaires
Le Conseil fédéral a adopté en mai 2019 le concept de mise en œuvre de la participation de la Suisse aux programmes de réinstallation du HCR. À côté des contingents annuels réguliers, ce concept prévoit explicitement une option d'aide immédiate pour les situations de détresse humanitaires, comme celle que connaît l’Afghanistan : « En cas d’urgence humanitaire, le Conseil fédéral peut également décider d’autoriser des admissions supplémentaires et de répartir les réfugiés entre les cantons disposés à les accueillir, en sus de la clé de répartition.
» Plusieurs cantons, communes et villes ont récemment réitéré leur accord pour accueillir davantage de réfugiés. Les Églises et des organisations de la société civile sont également prêtes à renforcer leur engagement.
Sur cette base, le Conseil fédéral doit
- décider immédiatement, d’entente avec les cantons, les communes et les villes, d’accueillir à titre humanitaire un maximum de réfugiés de réinstallation supplémentaire, notamment des réfugiés particulièrement vulnérables comme les femmes, les enfants et les familles, et appliquer cette décision dès que possible en collaboration avec le HCR ;
- créer immédiatement des possibilités d’associer au plus vite les Églises et les acteurs de la société civile à la mise en œuvre de cette action d’accueil humanitaire. Une base légale allant dans ce sens est en suspens au Conseil fédéral depuis cinq ans. La mesure d'urgence pour l’admission humanitaire d’un contingent supplémentaire de réfugiés afghans peut servir ici de projet pilote.
3. Octroyer une protection et un statut de séjour régulier
En regard de situation dramatique qui règne en Afghanistan, le SEM doit prendre des mesures particulières et adapter la pratique en vigueur par rapport aux réfugiés afghans déjà en Suisse :
- accorder en principe l'asile ou du moins une admission provisoire aux Afghans actuellement en cours de procédure en Suisse ;
- trancher au plus vite les demandes en suspens des requérants d’asile afghans et ne pas les laisser attendre trop longtemps, car la situation n’est pas près de s’améliorer ;
- autoriser les requérants d’asile afghans qui ont déjà reçu une décision négative et qui se trouvent encore en Suisse à adresser une demande de réexamen et une deuxième demande d'asile, afin d’obtenir un statut de séjour régulier.
Eliane Engeler
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