Motifs d'exil
L’Érythrée est une dictature répressive, où les violations des droits humains sont monnaie courante. Les hommes, les femmes et parfois même les enfants sont recruté-e-s de force dans le service national à durée illimitée et y sont exposé-e-s à de graves violations des droits humains. Actuellement, plusieurs milliers de personnes sont détenues arbitrairement, sans inculpation et dans des conditions inhumaines, notamment des opposantes et des opposants au régime, des journalistes et des membres de minorités religieuses. Les rapports d’organisations internationales montrent que les personnes qui ont déserté ou qui refusent de servir sont emprisonnées et torturées.
Selon Mohamed Abdelsalam Babiker, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains en Érythrée, la situation s’est détériorée dans plusieurs domaines depuis le début de la guerre du Tigré en novembre 2020 et de ses conséquences. Dans tout le pays, le gouvernement érythréen a intensifié les raids afin d’appréhender les personnes qui se soustraient au service militaire. La pression exercée sur les membres de leur famille pour divulguer leur lieu de séjour s’est également accrue. Les familles sont arrêtées ou voient leurs maisons confisquées. Lors des opérations d’enrôlement, il arrive de plus en plus souvent que des personnes âgées et des jeunes soient enrôlé-e-s de force.
À ce jour, il n’existe aucune source indépendante et fiable pouvant attester d’une amélioration de la situation des droits humains en Érythrée.
Demandes d'asile en Suisse
Selon les données du SEM, l’Érythrée est le troisième pays d’origine le plus représenté en 2024 (État fin octobre 2024), avec 1733 demandes d’asile enregistrées. Parmi ces demandes, 744 étaient des demandes primaires et 988 des demandes secondaires (naissances, regroupements familiaux et demandes multiples). Les demandes primaires sont des demandes d’asile déposées indépendamment, tandis que les demandes secondaires sont consécutives à une demande déjà déposée.
Pratique des autorités suisses
La pratique des autorités suisses en matière d’asile et de renvoi des personnes requérantes d’asile d’Érythrée s’est durcie depuis 2016. En effet, le départ illégal du pays et la menace d’enrôlement dans le service national ne conduisent plus, en soi, à la reconnaissance de la qualité de personne réfugiée. De plus, les autorités suisses estiment que l’exécution des renvois vers l’Érythrée est raisonnablement exigible.
En l’absence d’un suivi des retours, on ignore généralement ce qu’il advient des personnes qui sont retournées en Érythrée. Un cas a pu être documenté pour la première fois en mai 2022. À la suite du rejet de sa demande d’asile par la Suisse, « Yonas » est retourné en Érythrée, où il a été arrêté et torturé. Il a réussi à fuir une nouvelle fois vers la Suisse, qui a accepté sa seconde demande d’asile. Ce cas montre le risque encouru lorsque des décisions de renvoi sont prises en dépit d’informations peu claires.
Comme les renvois forcés vers l'Érythrée ne sont pas exécutables, un nombre croissant de personnes se retrouvent à l'aide d'urgence, obligées de vivre dans des situations extrêmement précaires, depuis le durcissement de la pratique des renvois.
Obligation inacceptable de se procurer un passeport
Les personnes érythréennes qui ont été admises provisoirement en Suisse en tant que personne étrangère doivent régulièrement présenter un passeport érythréen pour la conversion du permis F en permis B (autorisation pour cas de rigueur) ; de même pour la régularisation en cas de décision négative avec renvoi. Il en va de même pour le regroupement familial, les voyages justifiés, les mariages ou autres changements d'état civil. Si elles ne possèdent pas de passeport, le consulat général érythréen à Genève en délivre un mais uniquement contre signature d'une déclaration dite de repentir et contre le versement de 2 % du revenu, appelé taxe de la diaspora. Avec la déclaration de repentir, les Érythréennes et Érythréens doivent signer un aveu de culpabilité et accepter expressément des mesures pénales parce que, du point de vue de leur pays d'origine, ils n'ont pas rempli leurs obligations nationales. En outre, les autorités érythréennes exigent des informations sur les membres de leur famille restés dans leur pays d'origine.
Il n'est pas raisonnable de leur demander, pour obtenir un passeport, de signer la déclaration de repentir et de mettre ainsi en danger des proches et des connaissances restés au pays, ni de payer l'impôt de la diaspora, car la plupart des personnes érythréennes en Suisse ont fui le régime de leur pays d'origine, le service national illimité dans le temps, l'enrôlement forcé et les peines de prison de plusieurs années dans les pires conditions.
Taux de protection
De manière générale, la plupart des personnes requérantes d’asile originaires d’Érythrée obtiennent soit le statut de personne réfugiée reconnue, soit une admission provisoire. En 2024, selon les données du SEM, sur un total de 1767 cas réglés, 1018 Érythréen·ne·s ont obtenu l’asile et 310 ont obtenu une admission provisoire. Le taux de protection, c’est-à -dire le nombre d’octrois d’asile plus les admissions provisoires par rapport au total de toutes les décisions, s’élevait donc à 77,6 %.
Comme les renvois forcés vers l’Érythrée ne sont pas exécutables, un nombre croissant de personnes se retrouvent à l’aide d’urgence, obligées de vivre dans des situations extrêmement précaires, depuis le durcissement de la pratique des renvois.
Notre engagement
- Les développements actuels et la situation en matière d’information doivent être suffisamment pris en compte dans les décisions d’asile : depuis 2016, le départ illégal du pays et la menace d’enrôlement dans le service national ne conduisent plus, en soi, à la reconnaissance de la qualité de personne réfugiée pour les personnes requérantes d’asile d’Érythrée. De plus, les autorités suisses estiment que l’exécution des renvois vers l’Érythrée est raisonnablement exigible. Aux yeux de l’OSAR, ces durcissements ne sont pas justifiés étant donné la situation problématique en Érythrée et l’incertitude des informations. Le Comité contre la torture de l’ONU a stoppé plusieurs cas de renvois ordonnés par la Suisse vers l’Érythrée, les considérant contraires à l’interdiction de non-refoulement (décisions du CAT n°983/2020 du 9 mai 2023, n°887/2018 du 22 juillet 2022, n°914/2019 du 28 avril 2022, n°872/2018 du 28 avril 2022, n°916/2019 du 12 novembre 2021, n°900/2018 du 22 juillet 2021). La pratique suisse en matière d’asile et de renvoi vers l’Érythrée doit davantage tenir compte de la notion de protection. Les autorités ne peuvent pas se fonder sur des présomptions ou des informations contradictoires ou divergentes au détriment de la sécurité des personnes concernées. Une admission provisoire doit être accordée lorsqu’une persécution pertinente au regard du droit d’asile n’est pas reconnue ou ne peut être définitivement évaluée en raison de l’incertitude des informations.
- Exception à l'obligation d'obtenir un passeport : les personnes érythréennes qui n'ont pas été reconnues comme personnes réfugiées en Suisse mais qui ont été admises à titre provisoire ou qui ont reçu une réponse négative avec renvoi et qui ne possèdent pas de passeport doivent en demander un au consulat général d'Érythrée pour obtenir certaines autorisations ou un changement d'état civil. Les autorités suisses compétentes ne doivent pas exiger des personnes érythréennes qu'elles s'adressent au consulat érythréen à Genève pour l'obtention d'un passeport en vue d'une autorisation pour cas de rigueur, d'un regroupement familial, d'un mariage ou d'autres changements d'état civil, et qu'elles y signent une déclaration de repentir et paient la taxe de la diaspora. En lieu et place, un passeport pour étrangers doit leur être délivré.
- Développement des possibilités de régularisation : les rapatriements forcés vers l’Érythrée ne sont pas exécutables, pourtant, la Suisse a durci sa pratique en matière de renvoi. De plus en plus d’Érythréennes et d’Érythréens doivent donc demander l’aide d’urgence et vivre dans une situation particulièrement précaire. Les possibilités de régularisation du séjour des personnes qui ne peuvent pas retourner avant longtemps dans leur pays d’origine doivent être développées.