En effet, à la mi-juillet 2023, le SEM a adapté sa pratique concernant les femmes requérantes d’asile originaires d’Afghanistan. Depuis lors, celles-ci ont droit à l’asile après un examen au cas par cas de leur demande. Auparavant, les femmes et les jeunes filles afghanes recevaient généralement une décision d’asile négative assortie d’une admission provisoire, car l’exécution du renvoi était jugée inexigible. Ce changement de pratique sera débattu cette semaine lors d’une session extraordinaire. Deux motions soumises par l’UDC et le PLR demandent au Conseil fédéral d’annuler cette pratique.
L’OSAR s’oppose fermement à ces demandes insoutenables au vu de la situation catastrophique en Afghanistan, où les femmes et les filles afghanes ne peuvent pas mener une vie autodéterminée et digne sous le régime des talibans qui les astreint à des règles et à des mesures discriminatoires. Elles sont victimes de persécutions pour motifs religieux. Le nouvel arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF), qui traite de manière approfondie de la situation des femmes et des filles en Afghanistan, va également en ce sens (D-4386/2022).
Les considérations juridiques prévalent
Le tribunal reconnaît dans la discrimination radicale et systématique des femmes et des jeunes filles par les talibans un motif de persécution important au regard du droit des personnes réfugiées, raison pour laquelle elles auraient droit à l'asile en Suisse. Le TAF soutient ainsi le changement de pratique du SEM. Celui-ci, critiqué par la sphère politique, a été opéré dans le cadre de la loi sur l’asile en vigueur et se base sur des décisions juridiques relatives aux conséquences toujours plus graves du régime des talibans sur les conditions de vie des femmes et des filles en Afghanistan.
Seules les considérations juridiques du SEM en raison de l'évolution des circonstances doivent rester déterminantes pour de telles adaptations de la pratique. Les intérêts idéologiques ou partisans au sein du Parlement ne doivent pas jouer de rôle à cet égard.
Besoin de protection incontesté - pratique adaptée à l'échelle européenne
L’OSAR salue expressément l’arrêt phare du TAF et la confirmation des mesures de protection ciblées pour les femmes et les filles d’Afghanistan. Elle demande donc au Conseil national et au Conseil des États de s’engager sans appel en faveur de la protection des personnes réfugiées, de confirmer le changement de pratique du SEM et de rejeter les deux motions.
Le besoin de protection des femmes et des filles afghanes est incontesté. Par ailleurs, la Suisse n’est pas le seul pays à avoir modifié sa pratique. Elle n’a fait qu’emboîter le pas, avec retard, à de nombreux pays européens, dont la Suède, le Danemark, la Finlande, l’Espagne, la France, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, la Belgique, la Lettonie, Malte et le Portugal, qui avaient déjà adapté leur pratique sur recommandation de l’Agence européenne pour l’asile (EUAA).
Non aux expulsions vers des pays tiers comme le Rwanda
La dernière semaine de la session parlementaire sera marquée par des interventions supplémentaires remettant en question d’autres obligations internationales de la Suisse. Il s’agit notamment de la demande adressée au Conseil fédéral d’expulser contre paiement les personnes requérantes d’asile déboutées originaires d'Érythrée vers des pays tiers comme le Rwanda. La motion du PLR s’inspire explicitement au projet douteux du gouvernement britannique d’expulser des personnes requérantes d’asile vers le Rwanda afin d’y mener là -bas leur procédure d’asile.
La Cour suprême britannique a mis un terme à ce projet controversé, eu égard au fait que le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr et que l’expulsion vers ce pays risque de constituer une violation flagrante des obligations de droit international et des normes internationales en matière de droits humains. Le principe de non-refoulement risque notamment d’être violé.
Les obligations de protection demeurent
Le jugement de la plus haute juridiction britannique est également pertinent pour la Suisse. Le principe de non-refoulement est absolu, c’est-à -dire qu’il s’applique indépendamment du stade d’avancement de la procédure d’asile des personnes requérantes, que celle-ci soit terminée ou non. Même après une décision de renvoi exécutoire, les obligations internationales de la Suisse demeurent. De plus, le droit suisse en vigueur interdit déjà un renvoi forcé vers un État tiers comme le Rwanda dès lors que l'État pays tiers n'est pas un pays sûr et que les personnes concernées n’ont aucun lien avec ce pays.
Au vu de ce qui précède, l’OSAR demande au Conseil national de corriger la décision du Conseil des États et de rejeter cette intervention parlementaire. Les considérations basées sur le modèle britannique d'expulsion vers le Rwanda enfreignent en pratique les droits humains, c'est pourquoi il faut renoncer de manière générale à l’externalisation des procédures d’asile et des obligations de protection vers des États tiers.
Eliane Engeler
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