Madame la Conseillère fédérale,
Début septembre aura lieu à Malte une nouvelle réunion spéciale en vue de la mise en place d’un mécanisme de relocalisation volontaire dans l’UE des personnes réfugiées. La proposition franco-allemande de redistribution des personnes réfugiées secourues sur la route de la Méditerranée centrale y sera également discutée. Quatorze États membres de l’UE soutiennent cette proposition, et huit d’entre eux souhaitent y participer activement. Initié par l’Allemagne et la France, le dispositif vise à empêcher l’Italie et Malte de continuer à interdire l’entrée dans leurs ports aux navires transportant des personnes sauvées en mer.
Depuis des années, la Suisse s’engage sur le plan international en faveur d’une politique d’accueil des réfugiés fondée sur la solidarité et le respect des droits humains. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), ses organisations membres et la Croix-Rouge suisse (CRS) sont reconnaissantes de cet engagement. Nous saluons également les efforts menés par la Confédération au niveau européen pour la mise en place d’un mécanisme durable et solidaire de relocalisation des personnes en quête de protection, en particulier des personnes secourues en Méditerranée.
Il semble, toutefois, qu’aucune solution paneuropéenne durable ne soit prête à aboutir et aucun accord n’est encore prévisible. La politique migratoire actuelle de l’UE vise essentiellement à contenir l’arrivée de nouveaux réfugiés en Europe. Elle privilégie l’isolement et la répression, et tolère la violence, les violations des droits humains et la mort de milliers de personnes. C’est avec une grande inquiétude que nous observons les conditions de vie inhumaines en Libye et la catastrophe humanitaire en Méditerranée, où l’inaction de l’Europe condamne à la noyade des personnes venues chercher protection et un avenir décent pour elles-mêmes et leurs familles. La Suisse porte, elle aussi, une responsabilité dans cette tragédie. Elle soutient cette politique, rechigne à chercher des solutions et ne propose pas assez de routes alternatives légales et sûres vers la Suisse.
Porter secours aux personnes en détresse en mer est une obligation qui relève du droit international. Le droit à la vie et la protection contre les violations des droits humains ne sont pas négociables. L’UE et la Suisse ne peuvent se soustraire à cette responsabilité. Il est révoltant que des organisations privées et des travailleuses et travailleurs humanitaires se voient entravés dans leurs opérations, criminalisés, voire condamnés, alors que leur seul tort est de palier l’incapacité des États européens à apporter la protection et l’assistance nécessaire. Cette politique condamne à mort des êtres humains, sape la confiance dans l’État de droit et met à mal notre propre humanité et notre dignité. La Suisse ne saurait donc rester davantage à l’écart. Elle doit jouer un rôle actif dans la recherche d’une solution.
C’est pourquoi nous vous prions, Madame la Conseillère fédérale, de vous engager pour que la Suisse soit au premier rang et assume ses responsabilités en matière de protection des réfugiés et de respect des droits humains, conformément aux objectifs de la politique migratoire de la Suisse. Les mesures suivantes permettront à la Suisse de contribuer de manière prépondérante à lever le blocage politique actuel en Europe et à mettre fin à la catastrophe humanitaire en Méditerranée.
1. Œuvrer en faveur d’un mécanisme de relocalisation: la Suisse reconnaît que le sauvetage en mer, qui relève du droit international, est une mission de l’État. Elle s’engage, tant au niveau bilatéral que multilatéral, en faveur de la mise en place immédiate d’un mécanisme européen de relocalisation d’urgence des personnes réfugiées secourues en mer. En complément des programmes de réinstallation existants, la Suisse participe activement à la coalition des États volontaires qui ne veulent plus rester inactifs face à la mort de milliers de personnes en Méditerranée. Avec d’autres États membres Dublin qui se sont déclarés prêts à accepter des réfugiés – comme l’Allemagne, la France, la Finlande et le Portugal –, la Suisse accueille, conformément à un dispositif solidaire défini, des personnes recueillies en Méditerranée centrale et leur accorde une procédure d’asile équitable et la protection nécessaire.
2. Evacuer les réfugiés de Libye: il importe d’évacuer immédiatement les personnes en quête de protection de Libye. La situation dans ce pays, frappée par la guerre civile, est extrêmement préoccupante. Les réfugiés sont hébergés tels des détenus dans des camps aux conditions inhumaines et exposés à des bombardements réguliers. Les personnes en quête de protection qui se voient interceptées par les garde-côtes libyens – mandatés par l’UE – et renvoyées en Libye au mépris du principe de non-refoulement subissent systématiquement la torture, l’esclavage et la violence. Selon le HCR, il existe une trentaine de camps officiels en Libye où quelque 6 000 personnes sont détenues. Deux tiers d’entre elles environ répondent à la définition de réfugié de l’ONU. La Suisse doit aider à trouver une solution et renforcer l’aide d’urgence sur place.
3. Renforcer les routes migratoires sûres: afin de mettre un terme à la catastrophe humanitaire sur les routes de la Méditerranée, il est urgent d’augmenter les contingents de réinstallation. Il s’agit là de la seule solution durable pour cesser de contraindre les personnes qui cherchent à se protéger des persécutions à emprunter des routes dangereuses. Le dispositif de réinstallation doit être aménagé suffisamment tôt sur les routes migratoires et ne pas se concentrer uniquement sur la région méditerranéenne. En novembre 2018, le Conseil fédéral a adopté un contingent de réinstallation de 800 places pour 2019 et en mai 2019 un contingent de 800 places par an pour 2020/21, notamment pour les victimes du conflit syrien. Cependant, la situation extrêmement préoccupante qui prévaut actuellement sur les routes de la Méditerranée exige des actions humanitaires supplémentaires. Le nombre de personnes requérantes d’asile en Suisse est actuellement inférieur à la moyenne. La Suisse a donc la possibilité et les capacités d’accueillir davantage de personnes en quête de protection, d’autant plus que les structures du nouveau système d’asile sont prévues pour 24 000 demandes par an. De nombreuses villes et de nombreux cantons suisses, ainsi que la société civile, sont par ailleurs prêts à apporter leur soutien et à aider à trouver une solution.
4. Développer et cofinancer le sauvetage en mer: si des ONG se sont vues contraintes de lancer des opérations de sauvetage en mer, c’est en raison des réticences de l’Europe à cofinancer l’opération italienne «Mare Nostrum» et à mettre sur pied un sauvetage en mer digne de ce nom. Les États européens doivent cesser de déléguer cette mission à des organisations privées et doivent assumer leurs responsabilités. La Suisse doit s’engager en faveur de la mise en place d’un système durable de sauvetage en mer, organisé au niveau européen, et prendre part tant à son financement qu’aux opérations.
Nous vous demandons d’examiner ces mesures et de vous engager pour une participation volontaire immédiate de la Suisse aux sauvetages en Méditerranée.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Conseillère fédérale, l’expression de notre considération distinguée.