Les gardes-frontières grecs ont massivement repoussé en pleine mer et vers les eaux turques des personnes en quête de protection. Frontex, l'agence européenne de garde-frontières est non seulement consciente de ces refoulements illégaux, mais elle y est également impliquée. C’est ce que rapportent fin octobre les recherches menées par le magazine allemand Spiegel et ses partenaires, images et témoignages à l’appui. Plusieurs médias européens avaient déjà établi une vaste enquête en 2019 et avaient fait état des violences et maltraitances perpétrées par Frontex à l’encontre de personnes en quête de protection en Bulgarie, en Hongrie et en Grèce. Les nouvelles accusations ne surprennent pas: cela fait des années que des rapports signalent des refoulements aux frontières extérieures de l’UE et d’autres violations des droits humains.
Le ton monte mais reste insuffisant
Fin octobre, la Commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson a immédiatement appelé le directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, à enquêter sur ces allégations et à en assumer la responsabilité si les faits étaient avérés. L’agence européenne de garde-frontières avait annoncé une enquête interne dans un communiqué de presse, soulignant qu’elle n’avait pas encore trouvé de preuves ou d'autres éléments susceptibles d'étayer les accusations des médias.
La question a ensuite été discutée le 10 novembre 2020 dans le cadre d’une réunion d’urgence du conseil d’administration de Frontex, où le directeur de l’agence a enfin été mis sous pression. Il devra prochainement répondre aux questions du Parlement européen sur l’implication de Frontex dans le refoulement illégal des personnes en quête de protection.
Selon une déclaration de Frontex, publiée le 11 novembre, un comité d’évaluation sera en outre mis en place pour examiner les questions juridiques concernant les opérations maritimes aux frontières et répondre aux préoccupations des Etats membres. Pour l’OSAR, cette proposition est insuffisante et ne peut remplacer une enquête véritablement indépendante et transparente.
Responsabilité de la Suisse
L’OSAR condamne fermement les violations massives des droits fondamentaux commises par Frontex. Elles portent atteinte aux droits humains et empêchent l’accès à une procédure d’asile équitable : demander l’asile est un droit humain et celui-ci s’applique à toute personne, peu importe comment elle est entrée dans le pays.
Selon l’OSAR, il en va également de la responsabilité de la Suisse, qui est directement impliquée financièrement et opérationnellement depuis 2009 dans Frontex. Le Corps suisse des gardes-frontières participe à des programmes de formation, à l’élaboration d’analyses de risques et à des opérations aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Chaque année, une quarantaine de membres du Corps suisse des gardes-frontières sont déployés aux frontières extérieures de l’Europe.
De par sa participation, la Suisse est donc co-responsable des événements déplorables aux frontières extérieures de l’UE. Elle devrait mettre à profit sa coopération avec Frontex afin de promouvoir le respect des droits humains et d’établir des priorités en la matière. La Suisse doit œuvrer en faveur d’une surveillance des frontières conforme aux droits humains et de l’instauration de possibilités de porter plainte en cas de violation.
Finalement, dans le cadre du nouveau pacte sur la migration et l’asile présenté le 23 septembre 2020, la Commission européenne a proposé de mettre en place un mécanisme de surveillance indépendant afin d’enquêter sur les allégations de violations des droits fondamentaux aux frontières de l’UE. Ce mécanisme aurait le potentiel de traiter des violations, pour autant que certaines conditions soient remplies. Une coalition d'ONG, dont fait partie l'OSAR à travers l’ECRE, a publié en ce sens des lignes directrices. Si elles ne sont pas respectées, le mécanisme proposé par la Commission européenne ne serait qu’un artifice derrière lequel les violations se poursuivront.