Interview : Barbara Graf Mousa, rédactrice à l'OSAR
Comment te sens-tu aujourd’hui en Suisse ?
« Je vais bien. L’équipe du foyer nous aide à faire nos devoirs, à apprendre la langue, à comprendre la culture suisse, à nous discipliner et à respecter les règles. Ce ne sont que quelques exemples positifs, et nous apprécions énormément cette aide. »
Tout va pour le mieux, alors ?
« Je suis arrivé en Suisse il y a exactement un an. C’est vrai que je voulais un endroit calme, mais ce foyer est vraiment éloigné de tout. On s’ennuie un peu. Le wifi ne fonctionnait pas au début, donc il n’y avait pas d’accès à Internet, et il faut attendre longtemps jusqu'à ce que quelque chose soit réparé ou changé. Nous faisions plus de sorties et de sport ensemble au centre Erlenhof. J’ai rencontré plus de gens là -bas qu’ici. »
Préférerais-tu vivre en famille d’accueil ?
« J’y réfléchis, et je suis en train d’en discuter avec mon assistant social. Avant de prendre une décision, j’aimerais mieux comprendre comment fonctionne la cohabitation au sein d’une famille d’accueil. »
Avec qui habites-tu ici ?
« Nous sommes 15 jeunes hommes, de différentes régions d’Afghanistan, chacun avec sa propre langue et culture. Mais nous avons trouvé un équilibre, sommes devenus amis et nous entraidons. »
À quoi ressemble ta semaine, que fais-tu à l’école et pendant ton temps libre ?
« Je vais à l’école à Muttenz tous les matins, de 9 heures à midi, avec d’autres personnes réfugiées. Il faut absolument que je maîtrise l’allemand, c’est très important. Je vais courir deux fois par semaine et je rends parfois visite à des amis et à des collègues dans un autre foyer pour RMNA. »
Qu’est-ce qui te plaît ici ?
« J’aime beaucoup avoir des structures et des objectifs clairs. Je trouve les offres géniales, on peut faire un tas de choses. Je suis heureux et reconnaissant d’être en sécurité ici. Je commence un stage d’électricien au Erlenhof en octobre, j’ai vraiment hâte. »
Et qu’est-ce qui est plus difficile ?
« Il faut parfois beaucoup de temps avant qu’une décision définitive soit prise. Quand on a enfin choisi une voie à suivre, on a hâte de commencer. Si ça ne fonctionne pas, c’est frustrant parfois. »
Comment finances-tu ta vie ici ?
« Je reçois 150 francs par mois, qui servent à payer mon abonnement de téléphone, à acheter des vêtements, des affaires de toilette et ce dont j’ai besoin. On reçoit 70 francs par semaine pour la nourriture et les abonnements de bus et de tram sont payés. »
Souhaites-tu nous raconter quelque chose de ta vie d’avant ?
« J’ai grandi à Kaboul, la capitale de l’Afghanistan, et je suis allé à l’école pendant dix ans. J’ai aussi suivi des cours privés d’anglais et de mathématiques. Mon père est mort quand j’avais cinq ans et ma mère a travaillé au ministère de la Défense jusqu’à la prise de pouvoir par les talibans. Deux de mes quatre frères travaillaient aussi pour l’ancien gouvernement. »
Tu as quitté ton pays natal seul, toi le cadet de la famille ?
« J’ai un passeport biométrique, grâce auquel j’ai pu aller au Pakistan, puis en Autriche et finalement en Suisse, en passant par la France. Ma famille aussi a essayé de quitter l’Afghanistan, mais elle a été refoulée à la frontière et n’a pas obtenu de visa. C’est beaucoup trop dangereux pour elle.
As-tu des contacts réguliers avec ta famille ?
« Je parle avec ma mère et mes frères au téléphone une fois par semaine. Ma famille me manque énormément. » Les yeux de A.B. se remplissent de larmes. Il regarde sa bague bleue : « C’est ma mère qui me l’a offerte, elle est très importante pour moi. Je l’ai perdue une fois. J’ai tout retourné pendant deux semaines pour la retrouver. Cette bague finit toujours par revenir vers moi. »
Dois-tu envoyer de l’argent à ta famille ?
« Non, ma famille ne me met aucune pression pour gagner de l’argent. Tout ce que ma mère souhaite, c’est que je sois en sécurité et que je puisse construire une nouvelle vie en Suisse. »
As-tu déjà reçu une décision d’asile ?
« Oui, j’ai été admis à titre provisoire et j’ai introduit un recours. Je ne comprends pas... je peux prouver que ma famille et moi courons un grand danger en Afghanistan. Je suis aidé par un avocat. »
Quels sont tes trois vœux pour l’avenir ?
« Premièrement, j’aimerais avoir plus d’amis et mieux connaître la société suisse. Peut-être que ce sera plus facile pendant mon stage au centre Erlenhof. Deuxièmement, j’aimerais que les journées soient plus structurées, comme au centre de premier accueil. Et troisièmement, j’aimerais avoir plus de droits qu’aujourd’hui avec le permis F. Avec ce permis, je ne peux pas voyager à l’étranger et les recherches d’emploi sont beaucoup plus difficiles. »
*A.B. souhaite garder l’anonymat pour ne pas mettre en danger sa famille restée en Afghanistan. Comme sa mère et ses frères travaillaient pour des organisations internationales et pour l’ancien gouvernement avant la prise de pouvoir des talibans, ceux-ci les considèrent comme des traîtres. Leur profil à risque est élevé (voir Rapport de l’analyse pays de l’OSAR, novembre 2022).
Communiqué