Madame la Conseillère fédérale,
Le 13 mars 2020, le Conseil fĂ©dĂ©ral a adoptĂ© l’ordonnance II sur les mesures destinĂ©es Ă lutter contre le coronovirus COVID-19. Cette ordonnance n’aborde qu’indirectement le domaine de l’asile, Ă savoir en rĂ©fĂ©rence Ă l’interdiction d’entrĂ©e qui s’applique Ă©galement aux personnes requĂ©rantes d’asile. Les cas – suspectĂ©s ou avĂ©rĂ©s – de personnes contaminĂ©es au coronavirus concernent dĂ©sormais toutes les rĂ©gions d’asile de Suisse, dont des reprĂ©sentant-eÂ-s juridiques, des interprètes, des personnes requĂ©rantes d’asile, le personnel d’encadrement ou de sĂ©curitĂ©.
L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) se montre extrêmement préoccupée par la situation actuelle dans le domaine de l’asile et par l’attitude de la Confédération. Bien que dans tous les centres fédéraux pour requérants d’asile des efforts évidents sont menés pour mettre en œuvre correctement les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour la protection des personnes requérantes et du personnel, ces recommandations se révèlent en de nombreux lieux et contextes impossibles à appliquer. L’OSAR s’est enquérie de la situation et des mesures adoptées sur tous les sites.
Selon les informations reccueillie par l’OSAR, force est de constater que la sécurité des personnes concernées n’est pas pleinement assurée, que dans de nombreux cas il n’est plus possible d’exécuter le mandat de protection juridique avec la minutie requise et que des procédures d’asile équitables et des décisions d’asile de haute qualité ne peuvent plus être entièrement garanties. Pour toutes ces raisons, l’OSAR demande au Conseil fédéral de suspendre immédiatement l’ensemble des procédures d’asile.
Plus précisément, l’OSAR a identifié les lacunes suivantes:
- La «distanciation sociale» ne peut pas être appliquée de manière systématique partout en raison de l’aménagement des espaces. Par ailleurs, les personnes requérantes d’asile ne sont pas assez bien informées dans tous les centres des directives et recommandations de l’OFSP pour pouvoir s’y conformer suffisamment.
- Durée de l’entretien : L’OFSP recommande une durée de séance maximale de quinze minutes. Or, les entretiens dans le cadre de la procédure d’asile prennent beaucoup plus de temps. Les entretiens directs et les auditions entraînent un risque élevé de contamination pour toutes les personnes concernées, surtout lorsque, comme c’est le cas au Centre fédéral pour requérants d’asile de Boudry, les auditions se déroulent dans des salles exiguës en sous-sol.
- Les centres pour requérants d’asile étant souvent excentrés, le personnel de la protection juridique, les représentant-e-s des œuvres d’entraide, le personnel d’encadrement et médical et le personnel du Secrétariat d’Etat aux migration (SEM) sont contraints d’utiliser les transports publics, bien que cela soit fortement déconseillé.
- Les délais et les échéances ne peuvent être respectés en raison des absences – parfois soudaines – pour cause de maladie du personnel de la protection juridique, des interprètes et des employé-e-s du SEM;
- La protection juridique ne peut plus remplir pleinement sa mission en raison des absences pour cause de maladie et de l’incertitude générale liée à la situation d’urgence. Cela concerne tout particulièrement le canton du Tessin, qui est le plus sévèrement touché par le coronavirus.
- La disponibilité du personnel médical spécialisé est fortement limitée, les faits médicaux ne peuvent actuellement quasiment plus être établis et il n’est plus possible d’obtenir de rapports médicaux approfondis et complets en raison de la surcharge de travail des médecins cantonaux.
- En raison des absences pour cause de maladie, plusieurs bureaux de conseil juridique gratuitont déjà été contraints de réduire leurs activités ou de les suspendre complètement. Par conséquent, il ne peut plus être garanti que les personnes requérantes d’asile puissent exercer leur droit de recours. La garantie de l’accès au juge n’est plus assurée.
Pour toutes ces raisons, et afin de tenir compte de la situation d’urgence et des préoccupations de toutes les parties concernées, l’OSAR vous prie instamment en tant que Cheffe du Département fédéral de justice et police, ainsi que le Conseil fédéral dans son ensemble, de prendre immédiatement les mesures qui s’imposent dans le domaine de l’asile en vertu du droit d’urgence. Nous demandons que les points suivants en particulier soient traités d’urgence:
- Les procédures d’asile (accélérées, étendues et soumises à l’ancienne législation) doivent être suspendues jusqu’à nouvel ordre.
- Les délais des procédures Dublin ne peuvent être respectés car les transferts vers d’autres Etats européens restent impossibles pour l’instant. La Suisse doit donc se déclarer responsable de l’examen de ces demandes.
- Lorsque l’ensemble des faits a été établi et qu’une décision d’asile positive peut être prononcée, il s’agit alors de terminer la procédure en cours.
- Si la crise mondiale liée au coronavirus rend impossible à long terme l’expulsion de personnes vers leur pays d’origine ou leur pays de provenance, celles-ci doivent alors être admises à titre provisoire (conformément à l’article 83, al. 2, LEI).
- Comme il apparaît impossible pour l’instant d’exécuter les renvois prononcés, les personnes en détention administrative doivent être libérées immédiatement. Elles doivent avoir accès à un hébergement d’urgence et à des soins médicaux.
- Aucune décision prononcée ne doit imposer de délai.
- Les procédures juridiques doivent également être suspendues.
HĂ©bergement
Face à la gravité de la situation d’urgence, il importe en outre de combler les lacunes en matière d’hébergement. Le SEM poursuit ses efforts pour augmenter les capacités d’hébergement. Toutefois, dans les établissements d’hébergement collectif de la Confédération et des cantons, les règles de conduite et les mesures de protection hygiénique fixées par le Conseil fédéral et l’OFSP ne peuvent être respectées partout de manière adéquate en raison des espaces disponibles et de l’accès limité aux soins médicaux et aux mesures d’hygiène. Dans ces lieux d’hébergement – centres fédéraux pour requérants d’asile, centres de transit, hébergements d’urgence – il existe donc un risque d’infection sensiblement accru pour toutes celles et tous ceux qui y vivent et y travaillent: les personnes requérantes d’asile, le personnel médical, d’encadrement et de sécurité, les juristes de la protection juridique et le personnel du SEM.
Au vu de cette situation de crise extraordinaire, l’OSAR est consciente de la gravité de sa tâche. Elle soutient les mesures restrictives adoptées par le Conseil fédéral dans un esprit de solidarité afin de freiner la propagation du coronavirus. Néanmois, l’OSAR reste fermement convaincue que cette solidarité doit également concerner le domaine de l’asile, les directives et les règles émises par le Conseil fédéral et l’OFSP devant s’appliquer sans distinction.
Face à cette pandémie aux effets imprévisibles, la santé et la sécurité de l’ensemble des acteurs et actrices impliqués dans la procédure d’asile constituent pour l’OSAR une priorité absolue. Sans mesures adoptées en vertu du droit d’urgence, les problèmes ne tarderont pas à affecter le système d’asile suisse dans tout le pays. En raison des nombreux points de contact existant dans la procédure d’asile ainsi que des longues chaînes d’infection, une réaction tardive du Conseil fédéral face aux nouveaux développements aurait en fin de compte des répercussions non seulement sur le système d’asile suisse, mais également sur l’ensemble de la population. Il s’agit à présent d’empêcher cela rapidement et efficacement. Dans l’intérêt de toutes et tous.
Je vous prie d’agréer, Madame la Conseillère fédérale, l’assurance de ma considération distinguée.
Miriam Behrens
Directrice
Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)