COVID-19 : Mesures urgentes dans le domaine de l'asile

20 mars 2020

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) se montre extrêmement préoccupée par la situation actuelle dans le domaine de l’asile et par l’attitude de la Confédération. Bien que dans tous les centres fédéraux pour requérants d’asile des efforts évidents sont menés pour mettre en œuvre correctement les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour la protection des personnes requérantes et du personnel, ces recommandations se révèlent en de nombreux lieux et contextes impossibles à appliquer. Dans une lettre ouverte, elle demande au Conseil fédéral de suspendre immédiatement la procédure d’asile.

Madame la Conseillère fédérale,

Le 13 mars 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance II sur les mesures destinées à lutter contre le coronovirus COVID-19. Cette ordonnance n’aborde qu’indirectement le domaine de l’asile, à savoir en référence à l’interdiction d’entrée qui s’applique également aux personnes requérantes d’asile. Les cas – suspectés ou avérés – de personnes contaminées au coronavirus concernent désormais toutes les régions d’asile de Suisse, dont des représentant-e­-s juridiques, des interprètes, des personnes requérantes d’asile, le personnel d’encadrement ou de sécurité.

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) se montre extrêmement préoccupée par la situation actuelle dans le domaine de l’asile et par l’attitude de la Confédération. Bien que dans tous les centres fédéraux pour requérants d’asile des efforts évidents sont menés pour mettre en œuvre correctement les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour la protection des personnes requérantes et du personnel, ces recommandations se révèlent en de nombreux lieux et contextes impossibles à appliquer. L’OSAR s’est enquérie de la situation et des mesures adoptées sur tous les sites.

Selon les informations reccueillie par l’OSAR, force est de constater que la sécurité des personnes concernées n’est pas pleinement assurée, que dans de nombreux cas il n’est plus possible d’exécuter le mandat de protection juridique avec la minutie requise et que des procédures d’asile équitables et des décisions d’asile de haute qualité ne peuvent plus être entièrement garanties. Pour toutes ces raisons, l’OSAR demande au Conseil fédéral de suspendre immédiatement l’ensemble des procédures d’asile.

Plus précisément, l’OSAR a identifié les lacunes suivantes:

  •  La «distanciation sociale» ne peut pas ĂŞtre appliquĂ©e de manière systĂ©matique partout en raison de l’amĂ©nagement des espaces. Par ailleurs, les personnes requĂ©rantes d’asile ne sont pas assez bien informĂ©es dans tous les centres des directives et recommandations de l’OFSP pour pouvoir s’y conformer suffisamment.
  •  DurĂ©e de l’entretien : L’OFSP recommande une durĂ©e de sĂ©ance maximale de quinze minutes. Or, les entretiens dans le cadre de la procĂ©dure d’asile prennent beaucoup plus de temps. Les entretiens directs et les auditions entraĂ®nent un risque Ă©levĂ© de contamination pour toutes les personnes concernĂ©es, surtout lorsque, comme c’est le cas au Centre fĂ©dĂ©ral pour requĂ©rants d’asile de Boudry, les auditions se dĂ©roulent dans des salles exiguĂ«s en sous-sol.
  • Les centres pour requĂ©rants d’asile Ă©tant souvent excentrĂ©s, le personnel de la protection juridique, les reprĂ©sentant-e-s des Ĺ“uvres d’entraide, le personnel d’encadrement et mĂ©dical et le personnel du SecrĂ©tariat d’Etat aux migration (SEM) sont contraints d’utiliser les transports publics, bien que cela soit fortement dĂ©conseillĂ©.
  •  Les dĂ©lais et les Ă©chĂ©ances ne peuvent ĂŞtre respectĂ©s en raison des absences – parfois soudaines – pour cause de maladie du personnel de la protection juridique, des interprètes et des employĂ©-e-s du SEM;
  •  La protection juridique ne peut plus remplir pleinement sa mission en raison des absences pour cause de maladie et de l’incertitude gĂ©nĂ©rale liĂ©e Ă  la situation d’urgence. Cela concerne tout particulièrement le canton du Tessin, qui est le plus sĂ©vèrement touchĂ© par le coronavirus.
  • La disponibilitĂ© du personnel mĂ©dical spĂ©cialisĂ© est fortement limitĂ©e, les faits mĂ©dicaux ne peuvent actuellement quasiment plus ĂŞtre Ă©tablis et il n’est plus possible d’obtenir de rapports mĂ©dicaux approfondis et complets en raison de la surcharge de travail des mĂ©decins cantonaux.
  • En raison des absences pour cause de maladie, plusieurs bureaux de conseil juridique gratuitont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© contraints de rĂ©duire leurs activitĂ©s ou de les suspendre complètement. Par consĂ©quent, il ne peut plus ĂŞtre garanti que les personnes requĂ©rantes d’asile puissent exercer leur droit de recours. La garantie de l’accès au juge n’est plus assurĂ©e.

Pour toutes ces raisons, et afin de tenir compte de la situation d’urgence et des préoccupations de toutes les parties concernées, l’OSAR vous prie instamment en tant que Cheffe du Département fédéral de justice et police, ainsi que le Conseil fédéral dans son ensemble, de prendre immédiatement les mesures qui s’imposent dans le domaine de l’asile en vertu du droit d’urgence. Nous demandons que les points suivants en particulier soient traités d’urgence:

  • Les procĂ©dures d’asile (accĂ©lĂ©rĂ©es, Ă©tendues et soumises Ă  l’ancienne lĂ©gislation) doivent ĂŞtre suspendues jusqu’à nouvel ordre.
  • Les dĂ©lais des procĂ©dures Dublin ne peuvent ĂŞtre respectĂ©s car les transferts vers d’autres Etats europĂ©ens restent impossibles pour l’instant. La Suisse doit donc se dĂ©clarer responsable de l’examen de ces demandes.
  • Lorsque l’ensemble des faits a Ă©tĂ© Ă©tabli et qu’une dĂ©cision d’asile positive peut ĂŞtre prononcĂ©e, il s’agit alors de terminer la procĂ©dure en cours.
  • Si la crise mondiale liĂ©e au coronavirus rend impossible Ă  long terme l’expulsion de personnes vers leur pays d’origine ou leur pays de provenance, celles-ci doivent alors ĂŞtre admises Ă  titre provisoire (conformĂ©ment Ă  l’article 83, al. 2, LEI).
  • Comme il apparaĂ®t impossible pour l’instant d’exĂ©cuter les renvois prononcĂ©s, les personnes en dĂ©tention administrative doivent ĂŞtre libĂ©rĂ©es immĂ©diatement. Elles doivent avoir accès Ă  un hĂ©bergement d’urgence et Ă  des soins mĂ©dicaux.
  • Aucune dĂ©cision prononcĂ©e ne doit imposer de dĂ©lai.
  • Les procĂ©dures juridiques doivent Ă©galement ĂŞtre suspendues.

HĂ©bergement

Face à la gravité de la situation d’urgence, il importe en outre de combler les lacunes en matière d’hébergement. Le SEM poursuit ses efforts pour augmenter les capacités d’hébergement. Toutefois, dans les établissements d’hébergement collectif de la Confédération et des cantons, les règles de conduite et les mesures de protection hygiénique fixées par le Conseil fédéral et l’OFSP ne peuvent être respectées partout de manière adéquate en raison des espaces disponibles et de l’accès limité aux soins médicaux et aux mesures d’hygiène. Dans ces lieux d’hébergement – centres fédéraux pour requérants d’asile, centres de transit, hébergements d’urgence – il existe donc un risque d’infection sensiblement accru pour toutes celles et tous ceux qui y vivent et y travaillent: les personnes requérantes d’asile, le personnel médical, d’encadrement et de sécurité, les juristes de la protection juridique et le personnel du SEM.

Au vu de cette situation de crise extraordinaire, l’OSAR est consciente de la gravité de sa tâche. Elle soutient les mesures restrictives adoptées par le Conseil fédéral dans un esprit de solidarité afin de freiner la propagation du coronavirus. Néanmois, l’OSAR reste fermement convaincue que cette solidarité doit également concerner le domaine de l’asile, les directives et les règles émises par le Conseil fédéral et l’OFSP devant s’appliquer sans distinction.

Face à cette pandémie aux effets imprévisibles, la santé et la sécurité de l’ensemble des acteurs et actrices impliqués dans la procédure d’asile constituent pour l’OSAR une priorité absolue. Sans mesures adoptées en vertu du droit d’urgence, les problèmes ne tarderont pas à affecter le système d’asile suisse dans tout le pays. En raison des nombreux points de contact existant dans la procédure d’asile ainsi que des longues chaînes d’infection, une réaction tardive du Conseil fédéral face aux nouveaux développements aurait en fin de compte des répercussions non seulement sur le système d’asile suisse, mais également sur l’ensemble de la population. Il s’agit à présent d’empêcher cela rapidement et efficacement. Dans l’intérêt de toutes et tous.

Je vous prie d’agréer, Madame la Conseillère fédérale, l’assurance de ma considération distinguée.

Miriam Behrens

Directrice

Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)

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