Par Frederik Kok, Analyse pays de lâOSAR
En avril 2018, le SecrĂ©tariat dâĂtat aux migrations (SEM), annonçait quâil cherchait Ă conclure un accord avec lâEthiopie pour permettre le renvoi forcĂ© de demandeurs dâasile Ă©thiopiens dĂ©boutĂ©s. En vertu de cet accord, le SEM sâengagerait Ă collaborer Ă©troitement avec les services secrets Ă©thiopiens, le National Intelligence and Security Service (NISS), y compris en partageant des informations sur les ressortissants Ă©thiopiens, le but Ă©tant dâidentifier ces derniers afin de pouvoir les renvoyer en Ăthiopie. Fin septembre, la conseillĂšre fĂ©dĂ©rale Simonetta Sommaruga, prĂ©cisait quâun accord formel de rĂ©admission nâavait pas encore Ă©tĂ© conclu.
Une collaboration entre le SEM et les services secrets Ă©thiopiens qui pose problĂšme
La Suisse compte prĂšs de 300 ressortissants Ă©thiopiens dont la demande dâasile a Ă©tĂ© rejetĂ©e et qui sont en attente de renvoi. En 2018, il nây a eu que deux renvois forcĂ©s et 15 dĂ©parts volontaires contrĂŽlĂ©s vers lâĂthiopie. Selon un article paru dans lâhebdomadaire Wochenzeitung (WoZ) du 27 septembre 2018, la procĂ©dure dâidentification par le NISS semble avoir dĂ©butĂ©e. En septembre, une douzaine dâĂ©thiopiens dĂ©boutĂ©s ont Ă©tĂ© convoquĂ©s par le SEM pour y rĂ©pondre Ă des questions. Selon le WoZ et les dĂ©clarations dâĂ©thiopiens concernĂ©s, ces questions nâĂ©taient pas posĂ©es par le SEM, mais bien par des fonctionnaires Ă©thiopiens, vraisemblablement des membres du NISS.
Selon le SEM, les informations recueillies par le NISS ne peuvent porter sur les motifs de demande dâasile. Mais comment garantir la protection des donnĂ©es sensibles si ces entretiens se dĂ©roulent en en amharique, la langue officielle de lâEthiopie, et cela dâaprĂšs les recherches du WoZ, sans traduction? En avril dernier, lâOSAR et Amnesty International avaient rappelĂ© le rĂŽle important jouĂ© par le NISS dans la surveillance et la rĂ©pression des membres de lâopposition Ă©thiopienne. Il est par ailleurs difficile de comprendre lâempressement de la Suisse Ă procĂ©der Ă des renvois forcĂ©s vers un pays qui, malgrĂ© dâindĂ©niables progrĂšs dĂ©mocratiques ces derniers mois, ne prĂ©sente encore que peu de garanties de respect des droits humains.
Des réformes démocratiques prometteuses mais encore inabouties
Depuis son accession, en avril dernier, au poste de Premier ministre de lâEthiopie, Abiy Ahmed a initiĂ© de profonds changements. Les mesures prises par le premier ministre incluent la fin de lâĂ©tat dâurgence, la libĂ©ration de milliers de prisonniers politiques et le retrait des principaux groupes armĂ©s dâopposition de la liste des organisations terroristes. Il a Ă©galement appelĂ© Ă des Ă©lections multipartites et a lancĂ© un appel au retour de la diaspora Ă©thiopienne. En juillet dernier, il a Ă©galement su persuader son homologue Ă©rythrĂ©en, le PrĂ©sident Isaias Afwerki, de mettre un terme officiel Ă la guerre entre les deux pays.
Les dĂ©fis restent nombreux dans un pays de plus de 100 millions dâhabitants, qui a soif de libertĂ© politique et de progrĂšs Ă©conomique, mais dont un tiers de la population vit dans lâextrĂȘme pauvretĂ©. Les restrictions sur les activitĂ©s des organisations de la sociĂ©tĂ© civile nâont pas encore Ă©tĂ© levĂ©es et la loi anti-terroriste doit encore ĂȘtre rĂ©formĂ©e. Abiy Ahmed a Ă©tĂ© critiquĂ© pour sa gestion des tensions intercommunautaires qui continuent de secouer le pays et qui, selon lâONU, ont forcĂ© plus de 800â000 personnes Ă fuir leurs maisons depuis le mois de juin. Les promesses dâĂ©lections libres se heurtent Ă la rĂ©alitĂ© dâun pays contrĂŽlĂ© par une coalition de rebelles, le Front dĂ©mocratique rĂ©volutionnaire des peuples Ă©thiopiens (FDRPE), au pouvoir depuis 1991 et qui garde la mainmise sur toutes les institutions du pays. La coalition doit Ă©galement faire face Ă des dissensions internes qui menacent son unitĂ© et pourraient sonner le glas des rĂ©formes en cours.