Par Sylvia Braun, coordinatrice de l'ATCR, et Barbara Graf Mousa, rédactrice à l’OSAR
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que quelque 1,45 million de personnes réfugiées auront besoin d’une place de réinstallation en 2021. Soit deux fois plus qu’en 2012. Depuis 2012 en effet, les crises au Moyen-Orient et la guerre en Syrie ont contraint des millions de personnes à fuir pour chercher protection, dans un premier temps, dans les pays voisins : Jordanie, Liban et Turquie. Un retour dans le pays d'origine ou une installation durable dans le pays de premier accueil n’étant pas possible, la réinstallation constitue leur dernier espoir. Or, l'installation durable des personnes réfugiées en dehors de leur région d'origine et de leur premier pays d'accueil peine à se mettre en place. Ainsi, en 2018, sur les 1,2 million de personnes à protéger, seules 92 400 ont été accueillies par 25 pays dans le cadre de la réinstallation. Un écart énorme, qui risque de s'accentuer encore en raison de l'augmentation constante du nombre de personnes réfugiées dans le monde.
Augmenter les contingents
En Suisse, les programmes de réinstallation sont cette année en tête de l'agenda politique. Dans sa récente prise de position « Réinstallation et autres voies d'accueil humanitaire pour les réfugiés particulièrement vulnérables », l’OSAR a mené une analyse exhaustive des lacunes qu’il s’agit de combler et des moyens de faire venir rapidement et en toute sécurité les personnes réfugiées en Suisse afin qu’elles y trouvent une protection durable.
La Suisse mène des programmes de réinstallation en coopération avec le HCR depuis les années 1950. Depuis 2013, elle accueille des personnes réfugiées particulièrement vulnérables, principalement en provenance de Syrie. Fin 2018, le Conseil fédéral a définitivement inscrit l’engagement en faveur de la réinstallation dans le cadre de sa politique d'asile et migratoire. A partir de 2020, en concertation avec les cantons et les commissions des institutions politiques du parlement, entre 1500 et 2000 personnes réfugiées vulnérables seront admises tous les deux ans. L’OSAR salue cette coopération à long terme avec le HCR et recommande que la réinstallation se concentre encore davantage sur les groupes vulnérables tels que les enfants et les adolescent-e-s non accompagné-e-s, les mères célibataires avec enfants, les personnes handicapées et les personnes LGBTQI. Il s’agit d’utiliser pleinement les contingents existants ; en 2020, alors que le contingent annuel prévu s’élèvait à 800 personnes, seules 330 d’entre elles ont pu entrer sur le territoire suisse. Par ailleurs, l’OSAR demande une augmentation significative des contingents prévus ainsi qu’un élargissement des régions prises en compte dans le programme de réinstallation afin de comprendre également les zones de crise et à risque le long des routes de l’exil.
En tant qu'hôte de la plus grande conférence mondiale sur la réinstallation, l’« Annual Tripartite Consultations on Resettlement (ATCR) », la Suisse a les moyens de poser de nouveaux jalons. Cette année, le Secrétariat d'État aux migrations (SEM) et l’OSAR coprésident la conférence. Pour la première fois, des personnes réfugiées apporteront directement idées et propositions à l'ATCR via un organe consultatif international, le « Refugee Steering Group-(RSG) ». Sylvia Braun, responsable du projet ATCR, explique : « L'une de nos priorités pour la conférence de cette année est d'augmenter significativement la participation des personnes réfugiées. Nous sommes heureux que le Refugee Steering Group nous soutienne activement dans la planification et la réalisation et que nous ayons pu recruter de nombreux intervenant-e-s compétent-e-s au bénéfice d’une expérience d’exil pour la prochaine conférence. Dans la planification et la mise en œuvre des projets de réinstallation et d'intégration, il manque encore en de nombreux endroits une intégration systématique de la perspective des personnes réfugiées. Lors de la conférence, nous souhaitons aborder, entre autres, des initiatives innovantes de personnes réfugiées ainsi que le thème des voies d'accès complémentaires. »
De nombreuses voies d'accès
La loi suisse sur l'asile prévoit déjà deux options immédiatement applicables permettant d’ouvrir une voie sûre vers la Suisse aux personnes requérant protection : l'octroi de visas humanitaires et le regroupement familial (voir ci-dessous). Dans la pratique, cependant, ces deux approches font l’objet d’un traitement très restrictif. Le monitoring des visas du SEM indique que seuls 172 visas humanitaires ont été délivrés pour 2019, alors même qu'ils sont destinés à des personnes qui ont un besoin de protection particulier. Les visas humanitaires devraient être accordés avec plus de souplesse et, dans le cadre du régime des pays tiers, avec plus de générosité. Conformément à ce régime, les personnes ayant fui une zone de guerre ou à risque ne sont plus considérées comme des personnes en danger dès lors qu’elles ont atteintes un pays tiers. Ce régime et le fait qu'il n'existe pas de représentations suisses dans tous les pays limitent ainsi l'accès de nombreuses personnes réfugiées à la Suisse par le biais de visas humanitaires. C’est pourquoi l’OSAR exige la suppression du régime des pays tiers ainsi que la levée des conditions restrictives et des obstacles formels et techniques.
Rassembler les potentiels de solidarité
Diverses initiatives et campagnes politiques demandent depuis plusieurs années en Suisse l’implication des villes, des communes, des ONG, des volontaires ou des sponsors à des opérations d'accueil humanitaire. En déposant la pétition « Evacuer maintenant », plus de 50 000 signataires et près de 140 organisations ont exprimé leur souhait de voir les camps de la mer Egée évacués immédiatement et leur volonté d’accueillir les personnes en quête de protection sans bureaucratie. L’OSAR demande la création de la base légale nécessaire, déjà prévue par le Conseil fédéral en 2016, afin que ce potentiel puisse être utilisé et que des programmes de parrainage puissent être développés à plus long terme.
Garantir l'unité de la famille
Le regroupement familial est une autre solution permettant d’ouvrir une route migratoire sûre vers la Suisse. L’OSAR entend sensibiliser la population à ce sujet lors des Journées du réfugié à la mi-juin avec la campagne « Vivre ensemble est un droit. Pour les familles réfugiées aussi ». Les familles sont souvent déchirées le long des routes périlleuses de l’exil. Ces séparations laissent des personnes réfugiées sans nouvelles de leurs proches pendant des années. Ne pas savoir où se trouvent les siens ni même s'ils sont encore en vie est une situation insupportable. Réunir une famille exige une coopération efficace entre les acteurs locaux, nationaux et internationaux. L’OSAR s'engage pour que les obstacles élevés au regroupement familial qui existent en Suisse soient supprimés et pour que la marge de manœuvre existante en faveur des familles qui demandent protection soit exploitée.
Cet article a été publié dans notre magazine imprimé « Planète exil ». Nous y donnons un aperçu de notre travail et laissons les personnes réfugiées s'exprimer. Vous pouvez commander ici un abonnement gratuitement.