Interview et photographie : Barbara Graf Mousa, rédactrice à l’OSAR
Cihan Dilber, à quoi ressemble la journée de travail d’un encadrant ORS dans un CFA ?
Les journées sont très différentes. Nous travaillons par équipes de trois, l’une le matin et l’autre le soir. Vous ne savez jamais ce qui vous attend. C’est aussi ce qui rend ce travail si diversifié. Mon rôle est polyvalent : je suis chargé des services de base et de l’organisation du quotidien des personnes requérantes qui vivent ici dans l’attente de leur procédure. Nous sommes neutres sur le plan politique et religieux et n’influençons pas la procédure. Seul le SEM est compétent à cet égard.
Comment décririez-vous l’organisation du quotidien dans un CFA ?
Au CFA, les personnes requérantes d’asile doivent s’en tenir à une structure quotidienne réglementée et honorer leurs rendez-vous. C’est là que je leur viens en aide : parfois, je circule dans les couloirs ou dans les chambres pour répondre aux questions, donner un coup de pouce pour l’entretien ou montrer leur logement à celles qui viennent d’arriver, ou je suis affecté à la salle à manger et m’assure que tout le monde reçoit son repas sans qu’il y ait de disputes. Et d’autres fois, je gère la « boutique » de produits d’hygiène qui propose aussi des livres ou des jeux à emprunter gratuitement, ou je conduis quelqu’un à un rendez-vous médical. Tout le monde ici a des besoins différents auxquels nous souhaitons répondre le mieux possible.
Est-ce possible même avec un taux d’occupation élevé ?
C’est bien sûr un défi quand il y a de très nombreuses arrivées le même jour et que le centre est bien rempli. Il faut rester flexible. Il est important de traiter chacune des personnes résidentes en égale et avec respect. En tant que membres du personnel d’ORS, nous avons pour tâche fondamentale de bâtir des ponts entre les cultures, les attentes et les règles applicables en Suisse.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans un CFA ?
Pendant mon séjour au CFA Boudry de mars à mai 2019, j’ai aidé bénévolement dans l’organisation quotidienne du centre. Cette expérience m’a donné un premier aperçu du métier de l’encadrement, qui m’a paru très intéressant. Bien entendu, je souhaitais surtout travailler dans le conseil juridique puisque c’était mon métier en Turquie. Mais je ne peux pas travailler comme avocat en Suisse. C’est pour cette raison que j’ai rapidement décidé de travailler avec et pour les personnes du domaine de l’asile. C’est aujourd’hui devenu une passion, pour laquelle je me rends compte que ma propre expérience de l’exil et mon parcours professionnel me sont très utiles. Je connais les problèmes des personnes qui, comme moi, ont fui leur pays pour des raisons politiques. C’est un plaisir pour moi de m’identifier à elles, de réfléchir à leurs besoins et de les aider. J’en tire beaucoup de satisfaction.
Y a-t-il des moments ou des situations dans votre travail au CFA qui vous confrontent Ă vos limites personnelles ?
Bien sûr. Nous avons affaire à des personnes qui viennent de pays et de cultures très différents et aux profils professionnels variés. Elles n’ont pas les mêmes besoins et ne réagissent pas de la même façon. Personne n’est ici par plaisir ou pour faire du tourisme. Les contacts avec des personnes en partie traumatisées sont éprouvants. Dans ces situations, nous devons rester calmes et neutres sans rendre les choses personnelles. 90 % des problèmes naissent de malentendus. La quasi-absence d’intimité dans un CFA pèse beaucoup à certaines personnes. Les gens vivent dans une très grande promiscuité qu’ils n’ont pas choisie, ce qui peut donner lieu à des frictions.
Que faites-vous dans ce cas ?
J’essaie de tirer les choses au clair et de traiter les demandes des résidentes et résidents en mettant l’accent sur la recherche de solution et non sur le conflit. Même s’il y a souvent beaucoup de choses à faire en même temps quand on est encadrant, j’essaie de prendre le temps d’écouter, d’arbitrer et aussi de soutenir mes collègues d’ORS.
Auriez-vous un exemple Ă nous donner ?
Il y a eu une histoire de vol de téléphone portable et plusieurs personnes se sont liguées afin de punir elles-mêmes le voleur présumé pendant la nuit. J’en ai eu vent et leur ai aussitôt déconseillé de se faire justice elles-mêmes. Je crois que ça a fonctionné parce que j’ai pu expliquer calmement comment le conflit et les sanctions sont réglementés ici.
Est-ce l’ancien procureur en vous qui parle ?
Oui. J’ai exercé ce métier pendant sept ans dans mon pays. Je suis sûr que ces expériences me sont utiles pour assurer mon travail d’encadrant au CFA. Cela étant, je travaille ici comme encadrant, pas comme représentant légal. D’autres que moi ont cette responsabilité.
Recevez-vous une formation pour assurer vos fonctions au sein du CFA ?
ORS, mon employeuse, nous offre des cours sur l’encadrement professionnel, la prévention des conflits, la gestion de la proximité et de la distance. Il y en a certains que j’ai déjà suivis et d’autres auxquels je participerai bientôt.
Votre langue maternelle est le turc. Ces compétences linguistiques sont-elles aussi un atout au CFA ?
C’est bien sûr une bonne chose de pouvoir communiquer dans la même langue que les personnes requérantes. Le fait de raconter une blague ou de simplement les écouter dans leur langue peut parfois faire toute la différence. Souvent, elles sont rassurées d’entendre quelqu’un parler leur langue ou de s’apercevoir que je suis moi-même passé par là . Elles me voient alors comme un exemple et cela leur donne de l’espoir pour l’avenir. Mais il n’y a bien entendu pas que des personnes requérantes d’asile turcophones. Je suis là pour tout le monde et traite tout le monde de la même manière. Je tiens à ce que tant les résidentes et résidents que mes collègues d’ORS et le SEM puissent compter sur moi. D’ailleurs, il y a actuellement des personnes venant d’une centaine de pays différents qui travaillent pour ORS, un large éventail de langues y est donc représenté.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail ?
J’aime le fait de pouvoir offrir un soutien à des personnes qui se trouvent dans une situation particulière. Peu m’importe pourquoi elles sont dans un CFA. Elles sont là , un point c’est tout. J’essaie de rendre ce séjour « à durée déterminée » aussi agréable que possible pour elles. Je leur offre de l’empathie, les écoute et essaie de comprendre en leur adressant de temps à autre un sourire amical.
Que trouvez-vous difficile et qu’est-ce qui pourrait être amélioré d’après vous dans les CFA ?
Nous devons pouvoir réagir rapidement s’il y a tout à coup un afflux important de personnes requérantes d’asile. Je pense qu’il faudrait améliorer la planification de l’occupation des CFA : plus ils sont remplis, plus l’espace privé est restreint. Le travail que nous accomplissons dans ces centres est selon moi à la fois précieux et difficile. Ce serait donc une bonne chose que le grand public offre un peu plus de reconnaissance aux personnes qui s’engagent dans l’encadrement et l’accompagnement de personnes requérantes d’asile. Cela me paraît important. Quelqu’un qui ne connaît pas le quotidien d’un CFA n’imagine peut-être pas du tout que certaines personnes requérantes d’asile nous crient dessus, nous insultent, parfois même nous agressent physiquement. Le grand public et surtout les médias sont prompts à critiquer les services d’encadrement, alors que le problème tient en réalité au système de l’asile. Mais cette responsabilité-là , ce n’est pas nous, personnes encadrantes, qui l’assumons.