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« Nos efforts sont récompensés par les commentaires positifs des personnes requérantes d’asile »

Dans un rapport rédigé en 2021 après la médiatisation de violences dans des centres fédéraux pour requérants d’asile (CFA), l’ex-juge fédéral Niklaus Oberholzer a notamment recommandé la mise en place de formations continues pour le personnel des entreprises de sécurité. L’équipe de formation de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) a déjà dispensé plus de 100 formations en compétences transculturelles au personnel de sécurité des CFA. La méthode et le contenu du cours ont récemment été développés en concertation avec le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) et les firmes impliquées. 

Par Annelies MĂĽller, rĂ©dactrice Ă  l’OSAR 

CrĂ©Ă©e en 2024, la formation continue « CompĂ©tences transculturelles pour le personnel de sĂ©curitĂ© dans les centres fĂ©dĂ©raux pour requĂ©rants d’asile (CFA) » se compose d’un cours en prĂ©sentiel d’un jour et demi et d’un module d’apprentissage complĂ©mentaire en ligne d’une demi-journĂ©e.  

Muzafer Bisevac, chef du secteur Marketing et opération sur le site de Securitas à Olten, et Marianna Trgina, responsable de l’équipe de sécurité au CFA Flumenthal (SO), m’ont expliqué toute la différence que l’empathie et les compétences transculturelles du personnel de sécurité pouvaient faire dans le quotidien de travail.

Sans avoir directement fait l’expĂ©rience de l’exil, Muzafer Bisevac et Marianna Trgina sont issu·e·s de la migration. Muzafer Bisevac est originaire de Bosnie. Son père est arrivĂ© en Suisse dans les annĂ©es 1970 en tant que travailleur immigrĂ©. « Nous nous sommes toutefois activement engagé·e·s pendant la guerre par l’intermĂ©diaire de connaissances et de membres de la famille. Ces expĂ©riences auprès de personnes dĂ©placĂ©es par la guerre continuent de m’aider dans le domaine de l’asile », affirme-t-il. « J’ai quittĂ© mon pays, la Slovaquie, de ma propre initiative », raconte Marianna Trgina. « Mon arrivĂ©e en Suisse a Ă©tĂ© très compliquĂ©e. » Elle a malgrĂ© tout dĂ©cidĂ© de rester. Quelles Ă©taient ses attentes avant le premier cours ? « Je ne comprenais pas du tout ce qu’étaient les compĂ©tences transculturelles. J’ai pourtant travaillĂ© pendant vingt ans dans la restauration, un secteur très multiculturel, et diffĂ©rentes cultures se cĂ´toient aussi chez Securitas. C’est un concept qui fait partie de notre quotidien, mais dont nous n’avions pas conscience avant le cours. » Son collègue Muzafer Bisevac travaille dans le secteur de la sĂ©curitĂ© depuis 2009. « Vous rencontrez sans cesse des personnes issues de cultures diffĂ©rentes, mais contrairement aux personnes requĂ©rantes d’asile, la majoritĂ© du personnel et de la clientèle dans ce domaine vit ici depuis longtemps. »  

Marianna Trgina se souvient de ses premières impressions du cours : « Pour moi, le plus grand choc a Ă©tĂ© d’apprendre combien de temps peut durer l’exil. J’avais toujours vu ça comme une simple dĂ©cision : vous montez dans l’avion, vous arrivez Ă  destination et la vie continue. Pendant le cours, une dame nous a racontĂ© qu’elle avait donnĂ© naissance Ă  deux enfants, et donc fondĂ© une famille, pendant son exil. Nous entendons toujours parler des canots pneumatiques, mais il ne s’agit gĂ©nĂ©ralement que de la dernière Ă©tape du pĂ©riple. »  

Muzafer Bisevac a pour sa part Ă©tĂ© frappĂ© de dĂ©couvrir que les concepts de proximitĂ© et de distance n’étaient pas perçus de la mĂŞme manière dans toutes les cultures. « En Suisse, les gens se tiennent par exemple Ă  une plus grande distance les uns des autres et sont peu tactiles. »  

Mais revenons au quotidien de travail. Quelle situation a offert aux deux agent·e·s de sĂ©curitĂ© la première occasion de mettre en pratique les connaissances acquises pendant leur formation ? « Pour ma part, c’était lors d’un conflit, ou en tout cas ce qui y ressemblait au premier abord », se rappelle Muzafer Bisevac. « Deux hommes parlaient très fort entre eux, presque comme s’ils Ă©taient en train de se disputer. Comme nous avions abordĂ© ce sujet en cours, je suis allĂ© vers eux pour leur demander si tout allait bien, ce qu’ils ont tous deux confirmĂ©. Avant, je me serais interposĂ© ou j’aurais tout au moins demandĂ© d’un ton ferme : “Hé ! Qu’est-ce qu’il se passe ici ?” Or, ma rĂ©action aurait pu les dĂ©concerter et donc envenimer le conflit. »  

« Le fait de savoir comment interprĂ©ter certains gestes et certaines situations simplifie la communication et diminue les conflits », explique Marianna Trgina. Elle raconte avoir appris Ă  porter un regard diffĂ©rent sur son rĂ´le de femme et sur les rĂ©actions des personnes requĂ©rantes d’asile. « Souvent, les personnes Ă  qui je donne une instruction ou avec qui je souhaite simplement communiquer ne me regardent pas dans les yeux ou ne me serrent pas la main. Avant le cours, je trouvais ces comportements irrespectueux. » Marianna Trgina communiquait beaucoup avec les mains, mais certains gestes Ă©taient considĂ©rĂ©s comme offensants. « Dans l’espace arabe par exemple, le signe de la main que nous utilisons pour dire OK signifie : “Tu es nul·le.” »  

« Tout Ă  fait », acquiesce Muzafer Bisevac. « Dans certaines cultures, lever le pouce est aussi un geste obscène et en arabe, se passer le pouce et l’index sur la mâchoire est perçu comme une menace. Il m’arrive encore de le faire inconsciemment quand je rĂ©flĂ©chis, mais cela n’aide pas Ă  communiquer avec les personnes requĂ©rantes d’asile. Ce n’est pas si facile de se dĂ©barrasser de ces gestes non verbaux, qui sont souvent des automatismes. »  

Après le cours, Muzafer Bisevac a commencĂ© Ă  tenir un carnet de service d’ordre dans lequel il a rĂ©pertoriĂ© ce genre de « situations-obstacles ». « J’ai prĂ©cĂ©dĂ© Marianna Ă  la tĂŞte de l’équipe de sĂ©curitĂ© du CFA Flumenthal jusqu’à fin juin 2023. C’est lĂ  que nous avons discutĂ© de nos expĂ©riences avec le SEM. Nous nous adressons Ă©galement au grand public en publiant une newsletter tous les trois mois. Marianna et moi y avons donnĂ© une interview sur nos expĂ©riences en matière de compĂ©tences transculturelles. »  

La clĂ© de leur succès rĂ©side dans les Ă©changes Ă©troits entre l’équipe de sĂ©curitĂ© et celle chargĂ©e de l’encadrement. Ces Ă©changes ne se dĂ©roulent malheureusement pas de la mĂŞme manière dans tous les CFA, mais dans leur cas, ils leur ont permis de perfectionner la prĂ©vention des conflits et d’établir une pratique d’encadrement en la matière : « Le principe est relativement simple. Une directive du SEM interdit par exemple d’introduire des boissons en cannettes ou des denrĂ©es pĂ©rissables dans les centres pour Ă©viter tout risque de blessure pour soi-mĂŞme ou pour autrui dans le premier cas et pour des raisons d’hygiène dans le second. Ces boissons ou ces aliments sont donc confisquĂ©s Ă  l’entrĂ©e de nombreux CFA par le personnel de sĂ©curitĂ©. Chez nous, afin d’éviter les conflits, nous offrons aux rĂ©sident·e·s un gobelet ou une cuillère ainsi qu’un endroit chaud. »  

Le règlement concernant les heures de sortie a aussi Ă©tĂ© modifiĂ© au CFA Flumenthal afin de mieux rĂ©pondre aux besoins des rĂ©sident·e·s. « Personnellement, je ne suis pas du tout favorable aux heures de sortie, car les personnes requĂ©rantes d’asile sont des adultes. J’ai donc essayĂ© de les prolonger, sachant qu’elles se terminaient initialement Ă  17 heures », explique Muzafer Bisevac. Ă€ cause de quelques cambriolages dans la rĂ©gion, certain·e·s habitant·e·s n’auraient toutefois pas apprĂ©ciĂ© de voir des personnes rĂ©fugiĂ©es se promener Ă  l’extĂ©rieur. « RĂ©cemment, notre Ă©quipe a rĂ©ussi Ă  convaincre le SEM de mettre en place une navette gratuite qui circule jusqu’à Soleure toutes les heures jusqu’à 20 heures. Cette offre contribue aussi Ă  prĂ©venir les conflits en interne, Ă©tant donnĂ© que le risque de disputes augmente si les rĂ©sident·e·s doivent ĂŞtre de retour au centre Ă  17 h. Au lieu de cela, les personnes requĂ©rantes d’asile peuvent se promener Ă  Soleure ou s’asseoir au bord de l’Aar en Ă©tĂ©. » 

« Nos efforts sont rĂ©compensĂ©s par les commentaires positifs des personnes requĂ©rantes d’asile. Elles nous demandent parfois oĂą aller faire des courses ou si elles peuvent obtenir une carte de la rĂ©gion. En leur rendant ce genre de service, nous changeons l’idĂ©e qu’elles se font du personnel de sĂ©curitĂ©. L’uniforme n’est alors plus synonyme de danger, mais d’assistance. C’est dĂ©sormais comme cela qu’elles nous voient Ă  Flumenthal », affirme Marianna Trgina.  

« C’est une bonne chose selon moi que ce cours cherche Ă  nous rapprocher des personnes rĂ©fugiĂ©es et inversement », rĂ©sume Muzafer Bisevac. Bien sĂ»r, certaines personnes requĂ©rantes d’asile donnent du fil Ă  retordre au personnel de sĂ©curitĂ©, mais ce ne sont pas plus de 10 % d’entre elles », ajoute-t-il. « Un de nos employĂ©s s’est dernièrement fait casser une dent. Marianna va maintenant devoir l’encadrer avec prĂ©caution afin qu’il ne fasse pas de cette expĂ©rience nĂ©gative une gĂ©nĂ©ralitĂ©. Je rĂ©pète souvent Ă  mon Ă©quipe que nous devons nous focaliser sur les plus de 90 % de personnes rĂ©fugiĂ©es qui coopèrent. » 

À la question de savoir si les deux agent·e·s de sécurité recommanderaient le cours de l’OSAR à leurs collègues, leur réponse est sans appel : « Absolument ! Le contenu du cours peut être utile dans la vie tant professionnelle que privée. »

Des chances équitables, ensemble pour les personnes réfugiées.

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