Oliver Lüthi, responsable du département Communication
Les images de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie laissent perplexes : des milliers de réfugié-e-s qui vivent sous des tentes dans le besoin se rassemblent autour de petits foyers pour lutter contre le froid glacial et se nourrissent de leurs restes de nourriture. Celles et ceux qui ont réussi à passer du côté polonais errent dans les forêts et se cachent. La Pologne ne laisse officiellement aucun organisme d’aide entrer dans la région frontalière. Les quelques secouristes locaux qui ont malgré tout pu entrer en contact avec des réfugié-e-s parlent d’images effrayantes : des gens faibles, épuisés et gelés qui, s’ils sont découverts, seront immédiatement rapatriés en Biélorussie.
La Pologne réagit par la violence
Depuis le milieu de l’année, des groupes de réfugié-e-s arrivent à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, le tout organisé par l’autocrate biélorusse Alexandre Loukachenko, qui entend ainsi faire pression sur l’UE. En novembre, la situation s’est considérablement aggravée. Aujourd’hui, des milliers de réfugié-e-s restent dans la région frontalière, encerclé-e-s entre les forces de sécurité biélorusses et les barrières polonaises. Les tentatives de franchir la frontière avec la Pologne sont réprimées de manière violente par les forces de sécurité locales, avec des refoulements illégaux. La Pologne fait référence au droit de protéger ses frontières, soutenue avec zèle par les représentant-e-s de l’Union européenne. Le président du Conseil de l’UE, Charles Michel, a récemment évoqué la possibilité de financer la construction de clôtures avec des fonds de l’UE. C’est évident : à la périphérie de l’Europe, un conflit politique se déroule sur le dos des réfugié-e-s et des personnes dans le besoin et l’UE est une fois de plus en train de trahir ses valeurs humanitaires.
En effet, ce n’est pas la première fois que l’UE prend des mesures sévères à l’encontre des réfugié-e-s à ses frontières extérieures. C’est devenu la norme ces dernières années. Depuis les importants flux migratoires en 2015 et 2016, l’UE met en œuvre de manière ciblée une politique rigoureuse de dissuasion et d’isolement. Elle bloque les routes migratoires sûres pour les personnes en quête de protection, pactise avec des despotes et s’accommode de violations des droits humains. Des refoulements illégaux se produisent régulièrement aux frontières extérieures de l’UE. Depuis les années 1990, on essaie d’uniformiser la politique européenne en matière d’asile et de migration et de l’aligner sur des valeurs fondamentales. Jusqu’à présent, l’uniformité n’existe toutefois qu’au niveau des mesures de dissuasion. Le nouveau pacte de l’UE sur la migration et l’asile, qui a été annoncé en 2020 avec beaucoup d’enthousiasme, n’y changera rien non plus.
Pas d’accès pour les observatrices et les observateurs indépendant-e-s
Aujourd’hui, les droits fondamentaux sont violés à la frontière polonaise : le droit de demander l’asile. Le principe du non-refoulement. L’accès à la zone frontalière est interdit aux observatrices et observateurs indépendant-e-s, aux journalistes et aux organismes d’aide. La Pologne a récemment adopté une loi visant à légaliser les refoulements. La Lituanie, à la frontière avec la Biélorussie, a également introduit des modifications législatives dans ce sens. Les appels lancés par la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, en vue d’abroger ces dispositions, sont jusqu’à présent restés vains.
Désescalade au moyen d’une ouverture contrôlée de la frontière
Une ouverture contrôlée de la frontière permettrait de couper l’herbe sous le pied d’Alexandre Loukachenko. Sa tentative de faire apparaître l’UE comme une communauté d’États sans scrupules serait vaine. Une ouverture contrôlée de la frontière n’entraînerait pas non plus ce qu’on appelle un effet d’attraction. La Biélorussie ne se trouve pas sur les itinéraires habituels des réfugié-e-s. Sans l’octroi facilité de visas par la Biélorussie et la coopération avec d’autres autorités, il est peu probable qu’il y ait des flux migratoires via la Biélorussie et la Pologne.
Répartition des réfugié-e-s dans les pays de l’UE
L’UE devrait donc rechercher une solution avec la Pologne. Il est primordial d’autoriser les organismes d’aide et les collaboratrices et collaborateurs des groupes de soutien locaux à entrer dans la région frontalière. Les réfugié-e-s doivent être approvisionné-e-s en moyens de première nécessité, en tentes, en nourriture et en médicaments. Ensuite, il faut un enregistrement réglementé des réfugié-e-s. Afin de vérifier la situation en matière de droits humains, les observatrices et observateurs indépendant-e-s et les journalistes doivent être autorisé-e-s à entrer dans la région frontalière. La Pologne devrait facilement disposer de ressources propres suffisantes pour permettre aux réfugié-e-s de bénéficier d’un procès équitable. Malgré cela, l’UE doit soutenir la Pologne dans ce processus. Un tel soutien pourrait contribuer à l’intégration de la Pologne dans une politique d’asile européenne commune et davantage axée sur les valeurs fondamentales, alors que le pays s’est surtout distingué ces dernières années par sa position ferme dans le domaine de la politique des réfugié-e-s. Cela signifie également que l’UE ne doit pas laisser la Pologne seule face à la situation des réfugié-e-s. Concrètement, cela veut dire que si les personnes réfugiées sont enregistrées en Pologne, l’UE devrait viser à les répartir dans d’autres États de l’UE afin qu’elles bénéficient d’une procédure d’asile équitable. Avec une population de près de 450 millions d’habitant-e-s, il serait facile pour l’UE de traiter les demandes de quelques milliers de réfugié-e-s.
La Suisse a aussi un rĂ´le actif Ă jouer
La Suisse a aussi un rôle actif à jouer dans ce domaine. Par le biais de Schengen/Dublin, elle est étroitement associée à la politique migratoire européenne. Elle doit donc s’engager fermement en faveur du respect des droits humains et du droit international à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Cela inclut notamment le droit d’entrer dans un État et d’y déposer une demande d’asile. Demander l’asile est un droit humain. Il s’applique à toutes les personnes, peu importe comment et pour quelles raisons elles sont entrées en Suisse. La Suisse pourrait également participer à un éventuel mécanisme de relocalisation. Le nombre actuel de demandes d’asile en Suisse est faible et l’accueil d’un groupe de personnes réfugiées serait tout à fait supportable.
La politique d’asile européenne est donc à nouveau mise à l’épreuve. L’UE, et avec elle la Suisse, doivent réagir rapidement. Le temps presse : à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, les températures descendent à -20 degrés en hiver. La situation est l’occasion pour l’UE de prendre conscience de ses valeurs humanitaires. Sinon elle ne fera que renforcer l’image d’une communauté d’États insensible qui ne tient guère compte des droits fondamentaux dans la politique en matière de réfugié-e-s.