Raphael Strauss, Responsable de l'intégration
G.S. avait 15 ans quand elle a quitté la Syrie pour se réfugier en Suisse. Quelque deux ans plus tard, elle suivait des études d’informatique médicale, et travaille aujourd’hui dans le département Controlling et reporting de la Croix-Rouge Suisse du canton de Berne. R.J. était ingénieur en Irak et a étudié les sciences politiques avant d’arriver en Suisse en 2015, où il suit actuellement une formation d’informaticien. D.P. faisait des études de marketing à Kiev avant de s’exiler en Suisse au printemps 2022. Elle suit aujourd’hui l’année préparatoire Compas de l’université de Berne.
Ces exemples mettent en lumière les différents potentiels des personnes réfugiées en Suisse. Comme le montrent les statistiques du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), 60 % environ des personnes en quête de protection venant d’Ukraine possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur et plus de 90 % un diplôme de l’enseignement secondaire. Parmi les personnes réfugiées originaires d’autres pays, beaucoup sont, elles aussi, qualifiées. Leur degré d’instruction et leur potentiel ne sont toutefois relevés que plus tard, après leur attribution à un canton de séjour.
D’où qu’elles viennent, les personnes hautement qualifiées, titulaires de diplômes étrangers, doivent souvent surmonter divers obstacles pour accéder à la formation de degré tertiaire ou trouver un emploi qui correspond à leur formation. Il n’est pas rare qu’elles soient obligées de se satisfaire d’une déqualification en acceptant un poste inférieur à leur niveau de compétences. Divers projets visant à faciliter et parfois même à permettre l’accès des personnes réfugiées à une formation tertiaire ont vu le jour ces dernières années.
Avec son projet Perspectives - Études, l’Union des Étudiant·e·s de Suisse (UNES) aide les universités et hautes écoles à créer et mettre en œuvre des offres de formation transitoire et d’initiation pour les personnes réfugiées. À l’heure actuelle, il existe déjà plus de 30 projets d’encouragement dans toute la Suisse.
Favoriser l’accès aux hautes écoles et aux universités
L’encouragement ciblé et individuel, basé sur une évaluation exhaustive du potentiel, est l’un des piliers de l’Agenda Intégration Suisse (AIS). Les objectifs stratégiques du programme énoncent qu’il convient de préparer les personnes admises à titre provisoire et les personnes réfugiées reconnues ayant un potentiel correspondant à accéder à une formation tertiaire.
La mise en œuvre s’accompagne toutefois de nombreuses difficultés :
- Maîtrise de la langue : l’obtention d’un diplôme de langue de degré universitaire (C1/C2) prend du temps et n’est souvent pas financée par les services chargés de la gestion de cas. Dans de nombreux cas, l’encouragement de l’apprentissage de la langue n’est financé que jusqu’au niveau B1.
- Reconnaissance de diplômes et crédits étrangers : la reconnaissance de crédits, certificats de fin d’études secondaires et diplômes obtenus à l’étranger est une procédure complexe et coûteuse. Dans bien des domaines, il n’existe aucune autre possibilité d’équivalence ou de validation.
- Limites d’âge : si le principe de « la formation avant le travail » énoncé dans l’AIS est généralement strictement mis en œuvre jusqu’à l’âge de 25 ans, au-delà , on procède souvent à une mise en balance entre l’insertion rapide sur le marché du travail et l’encouragement d’une formation plus longue.
Au rang des difficultés peut encore s’ajouter le financement de mesures préparatoires, telles que des tests d’aptitude, ou un manque de mobilité géographique.
Il est donc essentiel de mettre en place et de financer des programmes ciblés pour assurer un accès efficace aux offres de formation tertiaires. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) salue les multiples efforts déployés au sein des hautes écoles de Suisse pour permettre aux personnes réfugiées aussi de suivre une formation de degré tertiaire.
Financement des coûts de formation et du coût de la vie
Au-delà de la question de l’accès, il convient aussi de clarifier le financement de la formation et des moyens d’existence. Le système de bourses joue ici un rôle fondamental. Si, grâce à la Convention de Genève sur les réfugiés, l’accès aux bourses est garanti pour les personnes réfugiées reconnues et admises à titre provisoire, il n’existe en revanche aucune réglementation uniforme pour les personnes étrangères admises provisoirement et celles au bénéfice du statut de protection S. Dans de nombreux cantons, celles-ci n’ont droit aux bourses qu’à certaines conditions, voire n’y ont pas droit du tout. Les limites d’âge trop basses posent par exemple problème en empêchant les personnes arrivées tardivement en Suisse de recevoir une bourse. La reconnaissance des formations initiales n’est pas non plus réglementée de manière uniforme : ainsi peut-il arriver que le diplôme d’une personne réfugiée obtenu à l’étranger ne soit pas reconnu en Suisse, mais qu’en même temps, l’accès à une bourse lui soit refusé au motif qu’elle a déjà achevé une formation initiale.
Des développements positifs dans l’accès aux bourses
Le besoin urgent de réformer l’accès aux bourses et aux allocations de formation a été reconnu : en février 2024, le canton de Zurich a adopté une motion appelant à supprimer le délai d’attente de cinq ans imposé aux personnes étrangères admises provisoirement avant qu’elles puissent accéder aux bourses. D’autres interventions favorables à une libéralisation sont en cours dans les cantons de Bâle-Campagne, Berne, Fribourg, Uri et Zoug.
Ces interventions sont un pas dans la bonne direction. L’accès aux allocations de formation et aux bourses doit être garanti aux personnes réfugiées, partout en Suisse, pour réduire les inégalités juridiques. Un rôle important à cet égard peut revenir au concordat sur les bourses d’études de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), qui vise une harmonisation des pratiques et définit des standards minimaux en matière d’accès et d’organisation. Les cantons restent toutefois libres d’aménager des directives plus généreuses.
L’octroi d’une bourse ne garantit pas encore que la personne bénéficiaire pourra suivre une formation. Les bourses ne suffisant généralement pas à couvrir le coût de la vie, l’aide sociale s’avère souvent nécessaire en complément. Un engagement des services spécialisés s’impose en faveur de la formation des clientes et des clients. Si cette approche va à contre-courant du crédo parfois dominant d’une intégration professionnelle rapide, ce dernier n’est en réalité pas la solution : permettre aux personnes réfugiées de pleinement exploiter le potentiel de formation dont elles disposent bénéficie à long terme non seulement aux personnes concernées, mais aussi à la société dans son ensemble.
Les formations comme solution partielle à la pénurie de main-d’œuvre
Dans son récent rapport sur la promotion du potentiel de la main-d’œuvre en Suisse, le Conseil fédéral épingle notamment le potentiel non exploité des personnes réfugiées. L’OSAR soutient cette orientation : il faudrait, dans chaque cas, davantage axer l’encouragement ciblé de l’intégration sur les potentiels offerts par les personnes réfugiées, indépendamment de leur âge, de leur statut de séjour ou de la durée de la formation. Il convient d’ouvrir et de soutenir l’accès aux formations tertiaires tant qu’il existe un potentiel et un intérêt des personnes réfugiées en ce sens. Un travail de sensibilisation auprès des services chargés de la gestion de cas, des projets d’encouragement ciblés dans les hautes écoles et les universités et un accès uniforme aux allocations de formation et aux bourses sont nécessaires pour y arriver.
Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a également déjà annoncé, dans le contexte de l’intégration des personnes réfugiées d’Ukraine, intensifier les efforts pour les aider à faire reconnaître leur diplôme. Un autre pas important sur la voie permettant aux personnes réfugiées d’exploiter leur potentiel en Suisse et, par là même, de largement contribuer à pallier la pénurie de main-d’œuvre.