Adrian Schuster, expert pays
Les implications des manifestations en Iran se sont invitées jusque dans le stade de la Coupe du monde de football au Qatar : les joueurs de l’équipe nationale iranienne ont osé refuser d’entonner l’hymne national avant leur premier match contre l’Angleterre, par solidarité avec les manifestant-e-s. À Téhéran, la défaite de l’équipe – qui avait cette fois chanté l’hymne – face aux États-Unis, l’ennemi juré, a été célébrée par les manifestant-e-s en signe d’opposition au régime. Un ami d’un joueur de l’équipe nationale aurait été abattu par les forces de sécurité après avoir fêté la sortie de l’Iran de la Coupe du monde.
Escalade de la violence
Les manifestations ont été déclenchées par la mort de Jîna Mahsa Amini, une Iranienne kurde de 22 ans. La jeune femme est morte en détention le 16 septembre 2022 après avoir été arrêtée par la « police des mœurs » iranienne parce qu’elle n’aurait pas porté correctement son voile.
Depuis, les forces de sécurité répondent aux manifestations, majoritairement pacifiques, avec une violence excessive, des mauvais traitements et des actes de torture. Au 1er décembre 2022, les groupes de défense des droits humains avaient recensé 462 décès liés aux manifestations, dont 64 enfants. Dans des dizaines de cas, les autorités iraniennes ont fait usage d’une violence excessive, illicite et létale face aux personnes qui manifestaient dans différentes villes, telles que Sanandaj, Saqqez, Mahabad, Rasht, Amol, Chiraz, Mashhad et Zahedan. Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et tué plusieurs centaines de personnes, dont des femmes et des enfants. Lors de la seule journée du 30 septembre 2022, baptisée « vendredi sanglant », les forces de sécurité ont tué plus de 90 personnes lors d’une manifestation dans la ville de Zahedan, dans l’Est du pays. Depuis le début du mouvement de protestation en septembre, les autorités ont arrêté des milliers de personnes, dont des centaines d’étudiant-e-s, d’activistes, de journalistes et de défenseur-e-s des droits humains. Ces personnes sont maintenues dans des camps surpeuplés et exposées à la torture et à d’autres mauvais traitements.
Dans plusieurs villes kurdes, les autorités iraniennes redoublent de brutalité face aux manifestantes et manifestants depuis la mi-novembre. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent l’intervention des forces spéciales et d’unités du Corps des gardiens de la révolution islamique, armées de fusils d’assaut militaires et de mitrailleuses lourdes. Les autorités font pression sur les familles des personnes tuées pour qu’elles les enterrent à l’abri des regards. Plusieurs enterrements ont cependant été le théâtre de nouvelles manifestations.
Des milliers de personnes ayant participé aux manifestations font l’objet de poursuites pénales. Depuis le 21 novembre 2022, les tribunaux iraniens ont condamné à mort au moins six d’entre elles. Selon Amnesty International, au moins 21 personnes sont accusées dans le cadre des manifestations et risquent la peine de mort.
Ces derniers mois, l’Iran a mené plusieurs attaques de missiles et de drones contre les bases des groupes d’opposition irano-kurdes dans le Nord de l’Iraq. Les observateur-trice-s soulignent qu’en attaquant ainsi les groupes kurdes, Téhéran souhaite surtout détourner l’attention des manifestations au sein du pays.
Le mandat du nouveau président Ebrahim Raïssi, élu en juin 2021, est marqué par une répression féroce. Le religieux s’était fait un nom en tant que bourreau et avait joué un rôle important dans l’exécution de milliers d’opposant-e-s au régime en 1988.
Depuis quatre ans, l’Iran voit se multiplier les manifestations de masse, auxquelles les autorités réagissent par une violence excessive et des arrestations arbitraires. Plus de 300 personnes auraient été tuées par les forces de sécurité lors de l’un des épisodes les plus brutaux de répression en novembre 2019. Cela fait des années que l’appareil de sécurité et de renseignement du pays sévit durement contre les personnes dissidentes avec la complicité de la justice iranienne. Tortures et autres mauvais traitements sont monnaie courante. Les conditions de détention sont inhumaines, comme le révèle une étude de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR).
Mise en place d’une mission d’établissement des faits : un signal important
Face à des violations aussi graves, il est impératif de suivre les faits avec attention et de les documenter pour veiller à ce que les coupables aient à répondre de leurs actes à l’avenir. La décision du Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’instituer une mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’examiner les violations des droits humains dans le cadre des manifestations en Iran est donc à saluer, même s’il est difficile de savoir si celle-ci apportera des résultats tangibles, étant donné que le régime de non-droit de Téhéran refuse de coopérer.
L’OSAR aussi suit les événements en Iran. En octobre 2022, l’organisation a réalisé une Fiche d’information qui définit les profils à risque des personnes menacées en Iran.
Asile pour les manifestantes et manifestants en fuite
Selon l’OSAR, les manifestant-e-s, les dissident-e-s et les défenseur-e-s des droits humains font face à un risque élevé d’arrestation et de condamnation à une peine d’emprisonnement ou à la flagellation en Iran. Une répression musclée menace également les minorités religieuses, par exemple les personnes converties au christianisme. Les femmes sont exposées aux crimes d’honneur ou risquent d’être arrêtées et punies par des acteurs de l’État pour « atteinte aux mœurs ». Enfin, les personnes LGBTQI+ sont opprimées et les relations sexuelles entre personnes de même sexe peuvent être punies de la peine de mort ou de la flagellation. L’Iran reste l’un des pays pratiquant le plus la peine de mort. Au moins 310 personnes ont été exécutées en 2021. La peine capitale est utilisée comme instrument d’oppression politique.
Une hausse nette du nombre de demandes d’asile soumises en Suisse par des ressortissant-e-s iranien-ne-s a été observée en septembre et octobre 2022 par rapport aux mois précédents. Au vu de la situation actuelle en Iran, l’OSAR demande que l’asile soit octroyé en Suisse aux manifestantes et manifestants ayant fui le pays. Comme le montre la récente fiche d’information de l’OSAR sur la situation en Iran, il existe de nombreux autres profils à risque, par exemple les personnes converties au christianisme, les personnes LGBTQI+ et les femmes touchées par la violence domestique. Ces personnes aussi doivent se voir accorder une protection en Suisse.