Lionel Walter, porte-parole & politique
La 52e lĂ©gislature a commencĂ©, avec non seulement un nouveau Parlement fĂ©dĂ©ral, mais Ă©galement une nouvelle personne Ă la tĂȘte du DĂ©partement fĂ©dĂ©ral de justice et police (DFJP). « Tout indique que 2024 sera Ă©galement une annĂ©e exigeante », dĂ©clare le bĂąlois Beat Jans, arrivĂ© Ă la tĂȘte du DFJP, aux mĂ©dias. En effet plusieurs dĂ©fis lâattendent dans le domaine de l'asile : le systĂšme d'asile ne s'avĂšre par exemple pas suffisamment rĂ©siliant aux fluctuations, les possibilitĂ©s d'hĂ©bergement et le personnel d'encadrement font dĂ©faut, le nombre de demandes d'asile et de protection augmente. ParallĂšlement, l'Union europĂ©enne (UE) a adoptĂ© une rĂ©forme de l'asile qui mise sur la dissuasion et le cloisonnement. Du point de vue de l'OSAR, Ă la suite de cette rĂ©forme la Suisse doit plus que jamais faire preuve de solidaritĂ©, en particulier envers les personnes en quĂȘte de protection, dont les droits sont de plus en plus restreints.
Durcissement du discours
Aussi en Suisse, les conditions se durcissent. LâUnion dĂ©mocratique du centre (UDC) est sortie gagnante des Ă©lections fĂ©dĂ©rales en usant dâune simplification outranciĂšre de problĂšmes complexes. Cela n'a Ă©tĂ© possible que parce que la situation politique actuelle dans le domaine de lâasile est tendue, en raison du nombre croissant de conflits internationaux qui contraignent de plus en plus de personnes Ă lâexil. En monopolisant largement la campagne Ă©lectorale sur le thĂšme de lâasile, elle a dĂ©peint les requĂ©rantâeâs dâasile comme responsables de tous les maux, de la pĂ©nurie de logement au manque de place dans les trains ou sur les routes, en passant par lâaugmentation des prix ou la criminalitĂ©. Le Parti libĂ©ral-radical (PLR) lui a emboĂźtĂ© le pas en choisissant la migration comme thĂšme phare de sa campagne. Sous le slogan « ferme mais juste », il en a profitĂ© pour propager des durcissements de la politique dâasile.
La campagne et les rĂ©sultats Ă©lectoraux en Suisse sont emblĂ©matiques d'une Ă©volution que l'on observe depuis quelques temps dans toute l'Europe : les partis de droite progressent, le discours public sur la migration et l'asile devient visiblement plus cru, les limites du dicible se dĂ©placent, l'appel Ă un durcissement de l'asile et Ă des expulsions de masse se fait de plus en plus fort. Cette normalisation du discours restrictif entraĂźne des consĂ©quences perfides : au lieu d'un dĂ©bat constructif autour de solutions basĂ©es sur des faits, on assiste de plus en plus Ă un concours d'idĂ©es sur la maniĂšre de restreindre toujours plus la protection des personnes rĂ©fugiĂ©es et d'expulser les demandeurâeuseâs d'asile hors du pays ou les empĂȘcher dây entrer.
Politique du symbole aussi au Parlement
Le dĂ©bat inqualifiable sur le changement de pratique en faveur des femmes et des filles afghanes, leur reconnaissant le droit Ă lâasile du fait des discriminations et des persĂ©cutions Ă motifs religieux dont elles sont victimes est un exemple parlant. Cette discussion a Ă©tĂ© lancĂ©e par la droite pendant la campagne Ă©lectorale. ConcrĂštement, deux motions Ă©manant des rangs de lâUDC et du PLR exigeaient lâannulation de ce changement de pratique. Sous lâimpulsion du Centre, elles ont toutefois Ă©tĂ© renvoyĂ©es pour examen en commission durant la session dâhiver. Le dĂ©bat nâest donc pas clos, bien que le besoin de protection des femmes et des filles afghanes soit incontestĂ© et que la Suisse nâait fait que suivre lâexemple dâautres pays europĂ©ens en modifiant sa pratique.
De telles interventions parlementaires relevant de la politique du symbole marquent la politique dâasile suisse en ce dĂ©but de lĂ©gislature. Toutes exigent un durcissement massif du droit dâasile. Pour en nommer quelques-unes : accord migratoire avec un rĂ©gime dictatorial, externalisation de la procĂ©dure dâasile dans des zones de transit ou Ă lâĂ©tranger, ou de lâexĂ©cution du renvoi de requĂ©rantâeâs dâasile dĂ©boutĂ©âeâs. En plus dâinfluencer lâopinion publique et alimenter les ressentiments Ă lâĂ©gard des personnes rĂ©fugiĂ©es, de telles propositions sont souvent inapplicables et entrent en contradiction avec des obligations de droit international. MĂȘme la Convention de GenĂšve relative au statut des rĂ©fugiĂ©s est dĂ©sormais ouvertement remise en question. Ce dĂ©veloppement et la focalisation sur des propositions de politique symbolique, qui ne rĂ©solvent pas les vĂ©ritables problĂšmes sont dangereux. Les fondements de lâĂtat de droit sont ainsi menacĂ©s, la dĂ©mocratie est affaiblie, menant Ă des fractures dans la sociĂ©tĂ©. C'est pourquoi un retour Ă de vraies solutions plutĂŽt que la multiplication de slogans bon marchĂ© est plus que nĂ©cessaire.
Balle au Centre
A cet Ă©gard, le Centre a un rĂŽle important Ă jouer dans le nouveau Parlement. Les majoritĂ©s sont tĂ©nues et le compromis difficile, particuliĂšrement au Conseil national oĂč il ne manque que six voix Ă la droite pour faire pencher la balance en sa faveur. Câest une chance particuliĂšre pour le Centre qui se retrouve Ă la fois faiseur de majoritĂ©, mais a Ă©galement lâopportunitĂ© dans un contexte de polarisation exacerbĂ©e, de se profiler comme force politique « social-bourgeoise » attachĂ©e aux principes de lâĂtat de droit et Ă la tradition humanitaire de la Suisse, et porteuse dâidĂ©es convaincantes et de compromis. Les positions du Centre seront donc dĂ©terminantes pour lâorientation donnĂ©e Ă la politique dâasile suisse.
Préserver la dignité humaine
Les Ă©lections sont passĂ©es, les majoritĂ©s sont connues. Les intĂ©rĂȘts politiques partisans doivent maintenant ĂȘtre mis de cĂŽtĂ© pour faire place Ă un discours objectif et la prioritĂ© donnĂ©e au consensus pour des solutions pragmatiques, basĂ©es sur les faits. La majoritĂ© du Parlement ne doit pas cĂ©der aux sirĂšnes du populisme et de la politique du symbole. Les parlementaires prĂȘtâeâs Ă mener une politique humaine, protĂ©geant les plus vulnĂ©rables, et axĂ©e sur le respect des obligations internationales en matiĂšre de droits humains, ne doivent pas se laisser aveugler par les discours simplistes demandant une politique dâasile toujours plus restrictive. Elles et ils sont au contraire appelĂ©âeâs Ă sâengager pour des voies dâaccĂšs lĂ©gales, pour la reconnaissance du rĂŽle de la sociĂ©tĂ© civile, pour une procĂ©dure dâasile uniforme et Ă©quitable, pour une meilleure Ă©galitĂ© de traitement des personnes rĂ©fugiĂ©es, pour une intĂ©gration Ă©conomique et sociale des personnes rĂ©fugiĂ©es et pour une meilleure planification en termes dâhĂ©bergement et dâencadrement. AmĂ©liorer les droits et la situation des personnes rĂ©fugiĂ©es doit ĂȘtre une prioritĂ©.
Face aux dĂ©fis et aux discours populistes, la rĂ©ponse ne peut ĂȘtre que la solidaritĂ© et une politique plaçant la dignitĂ© humaine au centre. Les droits humains ne sont pas nĂ©gociables et ne peuvent pas ĂȘtre utilisĂ©s au grĂ© des intĂ©rĂȘts en prĂ©sence. LâOSAR continuera Ă sâengager sur cette voie pour la protection urgente et indispensable des personnes rĂ©fugiĂ©es et Ă jouer son rĂŽle dâavocate des personnes en quĂȘte de protection.