Daniela Rohleder, sociologue et collaboratrice du projet Familles d’accueil pour les personnes réfugiées mineures non accompagnées
L’avis de l’OSAR de juin 2023 relatif aux enfants en quête de protection faisait déjà état d’une nette hausse du nombre de demandes d’asile de personnes requérantes d’asile mineures non accompagnées (RMNA). Depuis, plus de 3200 personnes réfugiées mineures sont arrivées en Suisse sans leurs parents ou une personne ayant l’autorité parentale. Selon les dernières statistiques du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour 2023, elles représentent désormais plus de 10 % du nombre total de demandes d’asile.
Tou·te·s les enfants ont des droits. L’article 11 de la Constitution fédérale suisse leur confère un « droit à une protection particulière de leur intégrité et à l’encouragement de leur développement » ainsi que des droits que les enfants peuvent exercer « dans la mesure où ils sont capables de discernement ». En tant qu’instrument supérieur, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CIDE) consolide les droits de toutes les personnes mineures se trouvant en Suisse, et donc aussi du groupe particulièrement vulnérable des enfants non accompagné·e·s dans le domaine de l’asile. La Suisse a ratifié cet accord en 1997.
Un puzzle incomplet menant Ă des lacunes dans la prise en charge
Prêtons-nous à un petit exercice mental en imaginant le domaine de l’asile suisse pour enfants non accompagné·e·s comme un puzzle, dont les pièces seraient les 54 articles de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Il apparaît clairement que des pièces manquent et que d’autres ne rentrent pas. Il faudrait par exemple remplacer ou polir bon nombre de pièces dans le domaine de la prise en charge et de l’hébergement des enfants non accompagné·e·s. Quelles sont celles devant être réparées en urgence ?
La CIDE l’énonce dès ses deux premiers articles : un·e enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans et l’accès à ses droits doit lui être garanti sans discrimination. Alors que les enfants non accompagné·e·s de moins de 12 ans sont hébergé·e·s en famille d’accueil dès leur arrivée en Suisse, les adolescent·e·s sont réparti·e·s dans des hébergements collectifs, ce qui engendre une inégalité de traitement dans l’accès à une prise en charge adaptée aux besoins. En effet, les personnes mineures de tout âge ont besoin d’un foyer où elles sont et se sentent en sécurité.
L’article 3 fait de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale dans toute décision. Dans les faits, toutefois, la Suisse ne prévoit pas de procédure spécifique pour apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant et l’implication d’enfants dans la procédure d’asile.
Alors que l’article 27 confère à chaque enfant un niveau de vie suffisant promouvant son développement physique, mental et social, les standards d’hébergement varient en réalité largement d’un canton à l’autre.
L’hébergement dans des structures collectives de grande taille porte également atteinte au droit de l’enfant au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives et de participer librement à la vie culturelle, consacré à l’article 31.
L’article 39 impose à l’État de prendre des mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique des enfants, ce qui requiert des conditions qui favorisent la santé individuelle et la dignité de l’enfant. Cette pièce-là aussi coince. En réalité, la majorité des personnes mineures réfugiées sont hébergées dans des structures qui ne leur permettent pas de s’isoler, qui ne leur offrent pas d’encouragement individuel et qui manquent de personnel qualifié.
RĂ©parer le puzzle
Toutes les pièces du puzzle précitées se rapportent entre autres à la forme d’hébergement. Pour le réparer, il faut donc avant tout appeler à un système d’hébergement conforme aux droits de l’enfant dans le domaine de l’asile suisse.
Par ailleurs, des changements doivent et peuvent être réalisés dans le système d’hébergement actuel si l’on veut offrir aux enfants réfugié·e·s une protection et des perspectives positives. Leur mise en œuvre requiert d’examiner de près chaque pièce du puzzle de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
Ni les centres fédéraux pour requérants d’asile ni les hébergements collectifs de grande taille ne favorisent le développement des enfants dans le respect des droits qui leur reviennent. Le système d’arrivée et d’asile pour les personnes mineures doit fournir des ressources qui leur permettent de grandir en bonne santé.
Les difficultés des jeunes personnes réfugiées ne se volatilisent pas à leur arrivée en Suisse : elles prennent au contraire une nouvelle forme, souvent inattendue. Durant la procédure d’asile, les personnes mineures doivent en effet composer avec une pression financière et psychique, le stress causé par l’hébergement dans des structures collectives, des faits de discrimination et d’exclusion, la barrière de la langue, leurs inquiétudes pour leurs proches, le traitement des expériences subies et leurs craintes pour l’avenir.
Pour pouvoir se rétablir durant l’exil et trouver leurs marques dans un système qui leur est inconnu, tou·te·s les enfants ont d’abord besoin de calme, d’une personne de confiance et d’une prise en charge psychosociale complète.
Les familles d’accueil, un lieu sûr pour les jeunes personnes réfugiées
Les familles d’accueil présentent un important potentiel pour permettre aux enfants réfugié·e·s de grandir en bonne santé.Alors qu’un manque de connaissances linguistiques engendre malentendus, mutisme et repli, l’accès simplifié à la langue qu’offre un cadre de vie familial confère aux jeunes personnes réfugiées une voix, la possibilité de la faire entendre et une visibilité. Le fait de les intégrer dans des structures claires contrecarre leur isolement et encourage leur efficacité personnelle.
Les systèmes familiaux créent des points de repère pour des perspectives sociales et professionnelles. Une participation précoce et égale des jeunes à la vie sociale a aussi des conséquences positives et durables pour la société d’accueil, sans oublier que la charge pesant sur la Confédération et les cantons en matière d’hébergement est allégée.
L’intégration au sein de systèmes familiaux peut offrir un espace de développement personnel à toutes les personnes impliquées, une pièce encore manquante du puzzle dans le système d’arrivée des jeunes personnes réfugiées. L’offre de formations au personnel spécialisé et aux familles joue un rôle aussi important dans le succès de ce dispositif que les espaces d’échange et d’autonomisation des jeunes. Il faut toutefois un accompagnement contraignant et professionnel pour les familles d’accueil, une mission que l’OSAR assure en coopération avec des organisations spécialisées en encourageant et élaborant des offres adaptées aux besoins.
Il est donc possible de limer les pièces irrégulières du puzzle du système de l’asile pour les rendre conformes aux droits de l’enfant.
À cet égard, des reportages médiatiques qui renoncent à tout stéréotype et mettent en lumière les conditions de vie des enfants non accompagné·e·s dans le domaine de l’asile sensibilisent la population civile aux besoins de ces enfants et la solidarisent.
Des structures de prise en charge adaptées aux besoins sont possibles. Pour offrir aux jeunes personnes réfugiées une vie en sécurité et dans la dignité en dépit des épreuves traversées, un financement global de l’hébergement adapté aux enfants et du personnel qualifié est impératif.
Communiqué