« Il faisait si sombre que j’avais l’impression que mon cœur allait exploser et que j’allais étouffer », témoigne dans ce rapport un requérant d’asile du CFA Les Rochat, mineur à l’époque des faits.
Agressions contre des enfants non accompagné·e·s
Un rapport publié aujourd’hui par Amnesty International (AI) recense des agressions commises entre les mois de mars et mai 2023 au CFA Les Rochat. Dans des témoignages concordants, cinq personnes requérantes d’asile mineures non accompagnées à l’époque racontent avoir été détenues dans des pièces exiguës sans fenêtres, attachées au sol et attaquées avec du spray au poivre par des membres du personnel de sécurité. Elles évoquent également des coups et des insultes, notamment à caractère raciste.
Selon AI, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a réagi timidement, affirmant que les événements avaient été précédés de vaines tentatives de dialogue et de médiation auxquelles les jeunes auraient répondu avec agressivité. Le SEM justifie donc le recours aux mesures de contrainte comme étant nécessaire et juge les mesures appliquées appropriées.
Une version des faits contredite par les jeunes victimes et les personnes assurant leur représentation juridique. Elles soutiennent n’avoir eu aucun comportement violent et ne pas avoir compris les raisons des mesures prises. AI exprime également des doutes quant à l’escalade qui aurait soi-disant précédé les événements, d’autant plus qu’aucun·e membre du personnel d’encadrement n’était présent·e.
Un rapport de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) révèle également des dysfonctionnements au sein du CFA Les Rochat au moment des agressions recensées par AI. Contrairement à ce qu’exige le SEM, aucun·e membre du personnel ayant une qualification socio-éducative n’aurait été en poste le 29 mars 2023, date de la visite. La Commission juge également problématiques les deux locaux dans lesquels les cinq cas de violences répertoriés se sont produits, étant donné que les mesures disciplinaires visant les jeunes sont strictement interdites par la Convention relative aux droits de l’enfant.
Rapports précédents
AI avait obtenu dès début 2020 de premiers éléments indiquant que des personnes requérantes d’asile subissaient de mauvais traitements de la part du personnel externe chargé de la sécurité. Un rapport publié en 2021 révélait des manquements structurels dans la gestion de la sécurité ainsi que l’absence de tout mécanisme de surveillance dans les CFA. AI s’inquiétait particulièrement de l’existence de salles dites de réflexion et du fait que les incidents liés à la sécurité étaient insuffisamment documentés.
Le SEM a alors confié la réalisation d’une enquête indépendante à l’ex-juge fédéral Niklaus Oberholzer. Le rapport Oberholzer (disponible en allemand) contient douze recommandations devant contribuer à prévenir dorénavant les violences.
Les droits des enfants non accompagné·e·s doivent être protégés
L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) s’inquiète des allégations de violences contre des enfants au centre Les Rochat. Elle observe la mise en œuvre des recommandations du rapport Oberholzer et s’est déjà exprimée à plusieurs reprises sur le sujet. Si l’OSAR reconnaît que le SEM a pris des mesures visant à améliorer la sécurité et la prévention de la violence dans les CFA, celles-ci ne suffisent toutefois pas à garantir les droits des personnes requérantes d’asile et en particulier la protection des enfants dans ces centres.
L’OSAR s’oppose explicitement à la rétention provisoire des enfants dans un local. Les mesures disciplinaires ne peuvent impliquer le recours à la violence physique. Si des mesures de contrainte devaient être imposées, il convient dans tous les cas d’observer le principe de proportionnalité. L’OSAR recommande, pour faire respecter la discipline, des mesures pédagogiques devant être mises en œuvre en collaboration avec du personnel socio-éducatif dûment qualifié.
Un organisme de recours indépendant, comme dans le cadre du projet pilote actuellement mené dans CFA de Bâle et de Zurich, est par ailleurs nécessaire. Mais, pour qu’un tel organisme puisse remplir son rôle, il faut que les victimes potentielles en connaissent l’existence et y aient accès. Or, l’OSAR a constaté, en mars 2024 à l’occasion d’un premier bilan intermédiaire du projet pilote « Bureau de signalement externe », que les personnes hébergées au CFA de Zurich n’avaient pas été suffisamment informées à ce sujet. Les cinq victimes du CFA Les Rochat indiquent également ne pas avoir eu connaissance de mécanismes de recours internes.
AI émet en outre des doutes quant à la rédaction systématique de procès-verbaux sur les incidents répertoriés, un soupçon que vient confirmer le rapport de la CNPT sur la visite au CFA Les Rochat, selon lequel il est tout à fait possible que certains incidents ne soient pas enregistrés dans le système, contrairement à ce que prévoient les règles. L’OSAR insiste donc pour que tous les incidents liés à la sécurité soient répertoriés de manière systématique, avec mention de toutes les personnes impliquées, et accessibles à tout moment pour un examen éventuel.
Communiqué