Afghanistan : les femmes ont besoin d’une protection particulière

27 août 2021

La Suisse a terminé ses évacuations d’Afghanistan, les États-Unis retirent leurs troupes. Dans ce contexte, les femmes sur place ont justement besoin d’aide de toute urgence. La Suisse doit prendre ses responsabilités.

Le DĂ©partement fĂ©dĂ©ral des affaires Ă©trangères (DFAE) a annoncĂ© cette semaine que tous les collaborateurs locaux du DFAE et leurs familles avaient Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s de Kaboul. Au total, ce sont près de 230 personnes auxquelles le gouvernement fĂ©dĂ©ral avait dĂ©cidĂ© de proposer un accueil humanitaire le 18 aoĂ»t. La communication ultĂ©rieure du DFAE avait fait comprendre que les opĂ©rations suisses d’évacuation d’Afghanistan Ă©taient ainsi en majeure partie terminĂ©es. Un jour plus tard, seulement, le prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden annonçait que les troupes amĂ©ricaines, actuellement en charge de sĂ©curiser l’aĂ©roport de Kaboul, se retireraient d’ici le 31 aoĂ»t. On ignore donc totalement comment les choses vont se passer après le 31 aoĂ»t. MĂŞme si les talibans auraient assurĂ© Ă  l’ambassadeur d’Allemagne en Afghanistan que des ressortissants afghans pourraient continuer de quitter le pays après le 31 aoĂ»t, la fenĂŞtre pour les personnes qui souhaitent quitter le pays se referme.

Selon les renseignements amĂ©ricains, 70 000 personnes ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©es d’Afghanistan. Ce chiffre est bien loin du nombre personnes qui devraient ĂŞtre Ă©vacuĂ©es d’urgence d’Afghanistan en raison de leur passĂ© : femmes professeurs Ă  l’universitĂ©, activistes politiques, femmes journalistes, artistes, anciens fonctionnaires. Tous sont passibles de poursuites sous le nouveau rĂ©gime. Le groupe d’intĂ©rĂŞts Foreign Policy for America estime Ă  200 000 le nombre d’Afghanes et d’Afghans particulièrement menacĂ©s, tandis que le Center for Strategic and international Studies parle mĂŞme d’un demi-million de personnes. Il ne fait donc aucun doute que l’Occident abandonne les Afghans Ă  leur sort.

Question à la conseillère fédérale

Cet abandon a des effets dĂ©vastateurs, en particulier pour les femmes et les filles afghanes, qui font face Ă  un avenir totalement incertain. Les sombres souvenirs de la première domination des talibans resurgissent. Ă€ l’époque, les femmes avaient Ă©tĂ© mises au ban de la vie publique, frappĂ©es d’interdiction de travailler et mariĂ©es Ă  des combattants talibans. En fin de compte, elles avaient Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©es de leur dignitĂ© et privĂ©es de leurs chances de mener une vie autonome. Le destin des femmes afghanes prĂ©occupe et touche. Compte tenu de la position actuelle du Conseil fĂ©dĂ©ral, il est donc lĂ©gitime de poser la question : Madame Keller-Sutter, la Suisse a-t-elle rĂ©ellement fait assez pour aider les femmes et les filles afghanes dans la situation actuelle ? Vous ĂŞtes une femme libre et sĂ»re d’elle, qui occupe une fonction majeure sur l’échiquier politique et a pu se rĂ©aliser sur le plan professionnel. Qui peut apporter quelque chose Ă  notre pays et en marquer le destin. En Afghanistan, des centaines de milliers de filles et de femmes aimeraient pouvoir en faire autant. Elles aussi ont des objectifs, des rĂŞves et des droits. Mais au lieu de cela, seules nous parviennent de lĂ -bas les voix de femmes qui redoutent les mesures des talibans, qui ont peur d’être encore interdites d’école et de travail, qui craignent d’être de nouveau mises au ban de la vie publique, voire qui ont peur pour leur vie.

Peur des mariages forcés

Ici, Ă  l’Organisation suisse d’aide aux rĂ©fugiĂ©s (OSAR), nous recevons chaque jour des douzaines de courriels et d’appels de personnes dĂ©sespĂ©rĂ©es en Afghanistan qui demandent comment faire pour quitter leur pays. Les courriels et appels proviennent aussi d’Afghans installĂ©s en Suisse qui veulent savoir comment aider les membres de leur famille sur place et les faire venir chez eux en Suisse. Ainsi, nous avons rĂ©cemment reçu la lettre d’une femme qui s’occupait d’enfants de fonctionnaires gouvernementaux dans une garderie en Afghanistan. Elle-mĂŞme avait plusieurs enfants, dont deux filles de 15 et 16 ans, et elle craignait Ă  prĂ©sent que les talibans puissent les forcer toutes les deux Ă  se marier. Nous avons Ă©galement entendu que les talibans voulaient de nouveau interdire aux femmes, dans certaines zones rurales, de quitter le domicile sans ĂŞtre accompagnĂ©es par un homme et sans porter la burka. C’est la raison pour laquelle je souhaite encore une fois m’adresser Ă  vous, Madame la conseillère fĂ©dĂ©rale Keller-Sutter. Une femme qui a montrĂ© ce que les femmes Ă©taient capables de faire et qui, par ses accomplissements, a rendu fières de nombreuses personnes dans notre pays. Le destin des femmes afghanes, de toutes ces personnes qui sont dĂ©sormais livrĂ©es Ă  elles-mĂŞmes, ne vous touche-t-il pas ? La Suisse ne peut-elle vraiment rien faire de plus que d’évacuer 230 personnes d’Afghanistan ?

Une fuite dangereuse

MĂŞme si nous ne savons pas prĂ©cisĂ©ment comment les talibans se comporteront après le dĂ©part des troupes Ă©trangères, une chose semble claire : de nombreuses personnes vont essayer de quitter le pays. La situation humanitaire en Afghanistan est catastrophique. Le pays est dĂ©vastĂ© par près de 20 ans de guerre civile. En outre, le pays est victime de la sĂ©cheresse depuis longtemps et les prix des aliments de première nĂ©cessitĂ© se sont envolĂ©s au cours des derniers mois. Entre-temps, l’approvisionnement en mĂ©dicaments se heurte Ă  des difficultĂ©s. S’il n’est pas possible de fuir depuis Kaboul, les rĂ©fugiĂ©s vont emprunter des voies terrestres dangereuses pour rejoindre un pays voisin de l’Afghanistan, en particulier le Pakistan ou l’Iran. Mais pour les femmes et les filles, prĂ©cisĂ©ment, fuir est dangereux. Elles devraient devenir une cible pour les talibans, en particulier si elles voyagent seules. En outre, en fuyant, elles s’exposent au risque de violences de genre ou de violences sexuelles.

Simplifier l’octroi de visas humanitaires et augmenter les places de réinstallations

Dans ce contexte également, la Suisse doit faire plus pour aider les femmes en Afghanistan. En particulier, l’octroi de visas humanitaires doit être simplifié pour elles et les obstacles correspondants doivent être minimisés. En plus de l’octroi de visas humanitaires et du regroupement familial, le droit suisse de l’asile prévoit des instruments pour permettre aux personnes en quête de protection de se frayer rapidement et en toute sécurité un chemin vers la Suisse.

Il convient ensuite de renforcer la réinstallation. Le contingent de réinstallation de la Suisse prévoit explicitement une option pour les situations humanitaires d’urgence, en plus des contingents annuels réguliers. Le Conseil fédéral doit donc, en accord avec les cantons, les communes et les villes, décider sans attendre de l’accueil humanitaire supplémentaire de nombreux réfugiés en réinstallation (notamment des réfugiés particulièrement vulnérables, comme les enfants, les familles et même les femmes et les filles) et coopérer avec le HCR.

La rĂ©serve de la Suisse dans la situation actuelle est incomprĂ©hensible. Nous sommes en train de vivre l’un de ces moments oĂą il est essentiel que la Suisse honore sa tradition humanitaire. La Suisse peut et doit aider maintenant, ainsi que s’entendre et se coordonner avec d’autres pays et avec l’ONU. Les bases lĂ©gales existent. Tout ce qu’il faut maintenant, c’est avoir du courage politique et faire preuve d’audace !

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