Des voies d’accès sûres vers une protection en Suisse : s’il y a la volonté politique, on trouve une voie juridique

11 octobre 2022

Bien qu’ils durent depuis des années, les débats politiques autour de la création de nouvelles voies d’accès sûres en complément à la réinstallation en Suisse sont toujours au point mort. Une récente analyse du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) offre pour la première fois une vue d’ensemble de tous les instruments et pistes pour les développer. Sans révolutionner les choses, elle offre tout de même une base solide pour les prochaines étapes, qui doivent nécessairement suivre. Les expériences tirées du projet actuel Familles d’accueil de l’Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) peuvent s’avérer utiles à cet égard.

Peter Meier, responsable Politique et médias

Plus de 100 millions de personnes fuient actuellement les conflits, la violence, les violations de droits humains et la persĂ©cution, partout sur la planète. La plupart n’ont aucune chance d’arriver par une voie sĂ»re dans un pays d’accueil leur offrant une protection et des perspectives. Faute de voies d’accès rĂ©gulières, les personnes rĂ©fugiĂ©es n’ont guère d’autre choix que d’emprunter les dangereuses routes migratoires, au pĂ©ril de leur vie, pour chercher une protection dans des pays europĂ©ens comme la Suisse.

Ces dernières années toutefois, des pays comme l’Allemagne, l’Italie et la France ont mis en place de nouvelles voies sûres pour les personnes en quête de protection en complément à leurs programmes traditionnels de réinstallation, fondées sur la participation des actrices et acteurs sur le plan local et/ou de la société civile.

Appels, pétitions, motions politiques

De telles voies d’accès complĂ©mentaires au programme de rĂ©installation en place sont aussi Ă  l’examen en Suisse : diffĂ©rentes villes et communes, mais aussi des organisations de la sociĂ©tĂ© civile, des Ă©glises ou des sponsors veulent pouvoir prendre une part plus active Ă  l’accueil humanitaire, Ă  l’hĂ©bergement et Ă  l’intĂ©gration de personnes rĂ©fugiĂ©es ayant particulièrement besoin d’une protection, y compris sur le plan financier.

Cela fait des années que la Confédération est exhortée à proposer cette offre de solidarité et de générosité à travers de multiples appels et pétitions, mais aussi au moyen d’un certain nombre de motions parlementaires, à tous les échelons politiques. C’est ce qui s’est produit dans le contexte du grand flux migratoire provoqué par la guerre en Syrie en 2015 et 2016, après l’incendie du camp grec de fortune de Moria à Lesbos en 2020 ou encore après la prise de pouvoir par les talibans en Afghanistan en 2021.

Rien ne bouge

Jusqu’ici, le Conseil fĂ©dĂ©ral rĂ©pond Ă  ces appels par de grandes dĂ©clarations d'intention. Ainsi reconnaĂ®t-il par exemple dans son concept de mise en Ĺ“uvre RĂ©installation, adoptĂ© en 2019, qu’un engagement visible de la sociĂ©tĂ© civile se serait dĂ©veloppĂ© dans diffĂ©rentes villes et communes, avant d’affirmer qu’il « convient d’utiliser ces dispositions et de saisir cette chance pour crĂ©er des voies d’accès lĂ©gales pour les rĂ©fugiĂ©s et les personnes dĂ©placĂ©es Â».

Or, dans le mĂŞme temps, ce mĂŞme Conseil fĂ©dĂ©ral appuie rĂ©gulièrement sur la pĂ©dale de frein dès que les choses se concrĂ©tisent politiquement : invoquant l’absence de base lĂ©gale, il hausse les Ă©paules Ă  chaque fois et renvoie Ă  des questions non rĂ©solues de droit et de finances. La responsabilitĂ© revient toutefois aussi aux cantons, qui doivent contribuer Ă  la mise en place de voies d’accès sĂ»res et Ă  l’accueil humanitaire de personnes rĂ©fugiĂ©es supplĂ©mentaires. Dès 2016, et maintes fois depuis, le Conseil fĂ©dĂ©ral a affirmĂ© Ă©tudier l’élaboration d’une proposition de loi en ce sens en s’appuyant sur les expĂ©riences d’autres États. Mais que s’est-il passĂ© concrètement tout ce temps ? Rien. Le dossier a Ă©tĂ© renvoyĂ© aux calendes grecques, systĂ©matiquement.

État des lieux complet

À la fin de l’année 2020, le SEM s’est enfin saisi de cette question importante. Près de deux ans plus tard, le résultat de ses travaux est présenté dans le projet d’étude en deux parties tout juste publié. Dans la première partie, l’étude externe du bureau TC Team Consult livre une bonne vue d’ensemble du spectre actuel de programmes en matière de voies d’accès complémentaires dans divers pays d’Europe, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Dans la seconde, le SEM analyse les conditions de l'introduction de nouvelles voies d’accès sûres en Suisse et une participation renforcée des actrices et acteurs privés et locaux.

Cette étude du SEM établit pour la première fois un vaste état des lieux des instruments qui existent déjà ainsi que des composantes de la mise en place et du développement de voies d’accès complémentaires en Suisse. Elle est, en ce sens, à saluer, car elle crée ainsi une base solide pour la suite des débats et le processus décisionnel. Mais en même temps, l’analyse du SEM donne globalement l’impression que la Suisse aurait déjà épuisé toutes ses possibilités de manière satisfaisante.

Une image faussée

L’OSAR a une vision diffĂ©rente de la situation. Elle a eu l’occasion de prendre position au prĂ©alable sur l’analyse du SEM et de formuler ses critiques. De son point de vue, l’analyse dresse un tableau trop positif, notamment en ce qui concerne les instruments existants de visas humanitaires et de regroupement familial. Si, en thĂ©orie, ces deux moyens peuvent en effet ĂŞtre employĂ©s immĂ©diatement pour ouvrir aux personnes en quĂŞte de protection une voie sĂ»re vers la Suisse, il ne s’agit bel et bien que de la thĂ©orie : la pratique, elle, est tellement restrictive que les deux instruments produisent peu d’effets en faveur des personnes rĂ©fugiĂ©es. Le nombre de visas humanitaires octroyĂ©s a ainsi chutĂ©, passant de 228 en 2016 Ă  94 en 2021 – dont 37 seulement en faveur de personnes de nationalitĂ© afghane malgrĂ© plus de 10 000 demandes. Au total, le taux de visas refusĂ©s est passĂ© de 88 % Ă  la fin de l’annĂ©e 2018 Ă  94 % en 2021. La pratique doit ĂŞtre adaptĂ©e de toute urgence, a fortiori face au besoin important engendrĂ© par la hausse des flux migratoires.

Le SEM ne formule pas non plus de recommandations concrètes concernant la crĂ©ation de nouvelles voies d’accès, en particulier dans le domaine du parrainage communautaire (Community sponsorship), pas plus qu’il ne se penche sĂ©rieusement sur les projets de familles d’accueil. Pourtant un rĂ©el potentiel existe lĂ  : la population aussi est de plus en plus dĂ©sireuse de contribuer Ă  l’accueil et Ă  l’intĂ©gration des personnes rĂ©fugiĂ©es, comme on le voit clairement en ce moment avec le conflit en Ukraine. Pour l’OSAR, il est impĂ©ratif de (pouvoir) davantage exploiter ce prĂ©cieux potentiel, par exemple au moyen de projets de familles d’accueil et de parrainage communautaire permettant Ă  la sociĂ©tĂ© civile d’apporter directement sa pierre Ă  l’édifice.

Concrétiser le dialogue

En deux mots, compte tenu du contexte, l’analyse du SEM livre ce Ă  quoi on pouvait s’attendre : un Ă©tat des lieux complet qui n’empĂŞche rien, mais qui ne fait pas non plus rĂ©ellement avancer quoi que ce soit. Elle n’est pas pour autant dĂ©cevante. Le SEM conclut en effet qu’un engagement renforcĂ© des actrices et acteurs de la sociĂ©tĂ© civile ou des villes et communes dans le cadre d’un programme de parrainage communautaire est « fondamentalement envisageable Â». En mĂŞme temps, l’analyse dĂ©mĂŞle les responsabilitĂ©s juridiques de la ConfĂ©dĂ©ration, des cantons et des communes, ce qui peut parfois faire toute la diffĂ©rence dans l’élaboration et la mise en Ĺ“uvre de programmes complĂ©mentaires.

Il s’agit Ă  prĂ©sent de partir de cette analyse pour poursuivre le dialogue avec toutes les parties prenantes. Les expĂ©riences du projet Familles d’accueil actuel de l’OSAR en matière d’hĂ©bergement privĂ© de personnes rĂ©fugiĂ©es d’Ukraine peuvent ĂŞtre mises au service de l’élaboration d’éventuels projets pilotes dans le domaine du parrainage communautaire. Il faudra bien entendu pour cela l’engagement de toutes les parties : les cercles intĂ©ressĂ©s – c’est-Ă -dire les villes, les communes, les organisations de la sociĂ©tĂ© civile, les Ă©glises, les sponsors – devraient maintenant se retrousser les manches, concrĂ©tiser leurs offres d’assistance jusqu’ici plutĂ´t gĂ©nĂ©rales et exposer clairement ce qui est faisable et financièrement possible pour eux. Mais ces efforts doivent aussi et surtout venir de la ConfĂ©dĂ©ration et des cantons, qui doivent soutenir la mise en place d’un projet pilote s’ils ne veulent pas que leur disposition Ă  examiner sĂ©rieusement de nouvelles voies d’accès complĂ©mentaires ne demeure qu’une vaine promesse.    

Un obstacle inexistant

D’emblĂ©e, l’idĂ©e formulĂ©e dans l’analyse du SEM qu’il convient d’abord de crĂ©er les bases lĂ©gales est peu convaincante, surtout en l’absence de motivations suffisantes. L’exemple moldave de l’accueil de personnes rĂ©fugiĂ©es ukrainiennes par l’alliance « Villes et communes pour l’accueil de personnes rĂ©fugiĂ©es Â» en mars 2022 est au contraire la preuve Ă©vidente que c’est d’ores et dĂ©jĂ  possible dans certaines circonstances sans passer par cette Ă©tape. L’étude comparative entre pays de TC Team Consult souligne par ailleurs qu’il n’a « pas Ă©tĂ© nĂ©cessaire Â» d’adapter les conditions cadres juridiques pour crĂ©er des voies d’accès complĂ©mentaires dans les programmes menĂ©s dans d’autres pays europĂ©ens aux systèmes comparables faisant l’objet de l’étude.

Quoi qu’il en soit, le renvoi confus aux bases juridiques ne saurait plus servir de prĂ©texte pour rester les bras croisĂ©s, et il n’a dĂ©jĂ  plus la capacitĂ© de faire obstacle Ă  d’éventuels projets pilotes. D’autant plus que l’expĂ©rience montre qu’en politique suisse, un principe s’applique mĂŞme dans les situations complexes : s’il y a la volontĂ© politique, on trouve une voie juridique.

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