Oliver Lüthi, responsable du département Communication
Le 24 février 2022, début de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, a marqué un tournant : non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour la politique des personnes réfugiées de la Suisse. Une solidarité rarement égalée caractérise depuis lors le traitement des personnes réfugiées d’Ukraine. Cet immense élan de générosité de la population est le thème de la campagne menée cette année par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) à l’occasion des Journées du réfugié. Parmi les personnes solidaires, on trouve notamment Pit et Brigitte Meyer de Saint-Blaise, dans le canton de Neuchâtel. Le couple Meyer a accueilli une mère et ses deux filles d’Ukraine. L’OSAR a rendu visite à la famille d’accueil au cours des dernières semaines et a enregistré son histoire. La famille Meyer n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres de l’ouverture et de la flexibilité dont font preuve de nombreuses personnes dans la situation actuelle. Elles sont prêtes à chambouler leur vie d’un moment à l’autre, à partager leur maison ou leur appartement avec des inconnu-e-s, à les soutenir au quotidien, à faire leurs courses, à emmener leurs enfants à l’école. Quelque 25 000 personnes réfugiées d’Ukraine sont désormais hébergées en Suisse à titre privé. Mais la solidarité ne se limite pas à l’hébergement privé des personnes réfugiées. Dans certaines communes, des structures entières de bénévoles ont vu le jour. Des personnes engagées distribuent gratuitement des repas aux personnes réfugiées, organisent des bourses de vêtements, mettent sur pied des services de transport ou donnent des cours d’allemand gratuits. D’autres s’occupent d’enfants ukrainiens pendant que les parents travaillent. La cohabitation avec les personnes réfugiées n’est pas seulement exempte de conflits. Les attentes différentes ou les différences culturelles posent des exigences élevées, en particulier en ce qui concerne la vie en famille d’accueil. Les personnes réfugiées d’Ukraine sont parfois très affectées psychologiquement par la guerre qu’elles ont vécue et par leur exode, et beaucoup ont dû laisser leur famille en Ukraine. Il est donc d’autant plus important de créer un environnement stable qui leur permette de se rétablir et de mettre en place des structures quotidiennes bien réglées. Dans ce contexte, ce sont précisément les familles d’accueil qui fournissent un énorme effort pour l’intégration et contribuent de manière essentielle à la gestion réussie du plus grand flux de personnes réfugiées en Suisse depuis la Seconde Guerre mondiale.
Il faut des structures Ă©tatiques qui fonctionnent
Si la crise actuelle a été surmontée avec autant de succès, c’est aussi grâce à la politique et à la collaboration exemplaire entre la Confédération, les cantons, les communes et les œuvres d’entraide. Le 11 mars déjà , le Conseil fédéral a activé pour la première fois le statut de protection S, qui donne provisoirement des droits étendus aux personnes réfugiées d’Ukraine sans qu’elles aient à passer par la procédure d’asile. Sans cette mesure, le système d’asile suisse serait débordé. Et les autorités et les œuvres d’entraide ont également rapidement cherché des solutions communes. Par exemple, sous la coordination de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, les premières structures ont été mises en place en mars dans les centres fédéraux pour requérant-e-s d’asile afin de placer des personnes réfugiées chez des particuliers.
Les dernières semaines ont également montré que le système d’asile de la Suisse présente certes de nombreux avantages pour faire face à de telles crises, mais qu’il est complexe. Il existe 26 solutions différentes dans les cantons, dont certaines relèvent même des communes. La mise en place des structures et des processus, en particulier, a pris du temps et est encore partiellement en cours. Les familles d’accueil et les personnes réfugiées se plaignent du manque de clarté des organes de contact ou de retards dans le versement des prestations de l’aide sociale. De plus, les premières dissolutions de familles d’accueil ont déjà eu lieu. Ces dernières montrent que la solidarité ne va pas de soi. Au contraire : pour que les hébergements privés soient durables, il faut un soutien et un accompagnement des bénévoles. Les familles d’accueil doivent pouvoir demander de l’aide lorsqu’elles ont des questions sur l’hébergement et la prise en charge des personnes réfugiées. Et il faut augmenter les montants de l’aide sociale en matière d’asile. Dans certains cantons et communes, les personnes réfugiées d’Ukraine reçoivent tout juste 300 francs par mois. C’est trop peu.
Égalité des droits pour toutes les personnes réfugiées
La situation actuelle illustre également la diversité de l’approche de la Suisse face aux différentes crises politiques mondiales et aux mouvements migratoires qui en découlent. Aussi impressionnante que soit la solidarité actuelle avec les personnes réfugiées d’Ukraine, la Suisse n’a que rarement été aussi solidaire envers les personnes réfugiées ces derniers temps. Ces dernières années, la politique s’est de plus en plus caractérisée par le cloisonnement et la défense. Pas plus tard que l’année dernière, dans le sillage de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, la Suisse s’est montrée extrêmement restrictive. Peu de visas humanitaires ont été délivrés à des Afghan-e-s, malgré les risques qu’elles et ils encourent dans leur pays d’origine. De même, aucun contingent de réinstallation supplémentaire n’a été décidé. Et la Suisse a la plupart du temps fait preuve de fermeté à l’égard des personnes réfugiées en provenance d’autres pays comme la Syrie ou l’Érythrée, qui fuient les conflits, les guerres civiles et les graves violations des droits humains. En règle générale, les ressortissant-e-s de ces pays obtiennent ici tout au plus une admission provisoire, avec des droits nettement plus limités que ceux des personnes originaires d’Ukraine. L’exemple d’Ahmad Soroush Rosta montre à quel point il est difficile d’arriver en Suisse et de s’intégrer dans la société locale. Son histoire a également été reprise par l’OSAR dans le cadre de la campagne des Journées du réfugié de cette année. Soroush décrit sa vie en Suisse comme « une pièce sans porte, avec une petite fenêtre » qui permet tout au plus une faible lueur d’espoir vers l’extérieur.
Les familles d’accueil comme modèle
Pour l’OSAR, il est clair que toutes les personnes réfugiées doivent avoir les mêmes droits lorsqu’elles dépendent de la protection de la Suisse. Et l’admission provisoire doit être remplacée par un statut de protection positif. Le modèle de famille d’accueil actuellement pratiqué et la solidarité qui règne avec les personnes réfugiées d’Ukraine peuvent servir d’exemple pour la gestion des personnes réfugiées provenant d’autres régions du monde. Il existe également déjà de bons exemples de solidarité avec d’autres communautés de réfugié-e-s. Ainsi, le projet de familles d’accueil de l’OSAR, lancé pour la première fois en 2014, était initialement destiné aux personnes réfugiées de Syrie. Et dans certains cantons comme Bâle-Ville, Vaud ou Schaffhouse, cela fait des années déjà que des personnes réfugiées sont placées dans des familles d’accueil. Ces projets permettent également à des personnes originaires d’Afghanistan ou d’Érythrée de prendre pied en Suisse et de s’intégrer au cœur de la société. Cela va tout à fait dans le sens du slogan de la campagne de l’OSAR de cette année pour la Journée des réfugiés : « Bienvenue en Suisse. Nous sommes là pour toutes les personnes réfugiées ».