Par Barbara Graf Mousa, rĂ©dactrice Ă lâOSAR
En tant quâaumĂŽnier pour les requĂ©rants dâasile du centre de dĂ©part de la Gouglera situĂ© prĂšs de Giffers dans le canton de Fribourg, Thomas Staubli en apprend beaucoup sur les destins des requĂ©rants dâasile dĂ©boutĂ©s. Ce thĂ©ologien engagĂ© consulte souvent le service juridique de lâOrganisation suisse dâaide aux rĂ©fugiĂ©s (OSAR), afin dâaider concrĂštement des personnes qui cherchent dĂ©sespĂ©rĂ©ment une protection, comme dans le cas dâun Afghan de 37 ans. Cet homme devait ĂȘtre renvoyĂ© de Suisse en Allemagne oĂč il risquait dâĂȘtre expulsĂ© en Afghanistan.
Thomas Staubli rend compte de la situation:
«Telawat Telwazei, qui a expressĂ©ment souhaitĂ© ĂȘtre citĂ© nommĂ©ment, a vĂ©cu des atrocitĂ©s. Les images sanglantes le poursuivent quotidiennement, surtout quand il est seul. Son pĂšre, un des chefs des services secrets, et son frĂšre, un soldat de commando, ont Ă©tĂ© brutalement assassinĂ©s par les Talibans en Afghanistan. Il mâa montrĂ© les photos de leurs corps; elles sont terrifiantes. Sa mĂšre Ă©tait instructrice de police. Comme son pĂšre et son frĂšre assassinĂ©s, il a lui-mĂȘme combattu aux cĂŽtĂ©s des AmĂ©ricains. Leur retrait lâa mis en grand danger; il ne lui restait plus dâautre option que la fuite. Il a dĂ» laisser sa femme chez ses beaux-parents Ă Sermat en Afghanistan.
ArrivĂ© en Allemagne le 21 octobre 2015, il y a dĂ©posĂ© une demande dâasile. Il a vĂ©cu trois ans et demi dans la rĂ©gion de Dresde et Bautzen. Durant cette pĂ©riode, il sâest senti bien et acceptĂ© dans la sociĂ©tĂ© allemande et a acquis un trĂšs bon niveau dâallemand. Il a travaillĂ© dans un Ă©tablissement de soins, dans lâindustrie du plastique, dans une brasserie et dans un cinĂ©ma. Les Allemands lui sont apparus comme des gens trĂšs sympathiques. Mais sa demande a Ă©tĂ© rejetĂ©e, parce que lâAllemagne juge lâAfghanistan suffisamment sĂ»r et en expulse Ă nouveau les ressortissant-e-s», explique lâaumonier.
Retour vers la mort
«Pour Telawat Telwazei, le renvoi en Afghanistan signe son arrĂȘt de mort. MĂȘme ses plus proches parents du cĂŽtĂ© paternel travaillent pour les Talibans. Câest pourquoi il a de nouveau fui en Suisse. Selon la maniĂšre dont la Suisse Ă©value la situation des droits humains, il devrait Ă vrai dire obtenir le statut de rĂ©fugiĂ© reconnu, comme beaucoup dâautres Afghans, ou au moins lâadmission provisoire. Mais ce qui est choquant, câest que notre pays accorde plus de poids au rĂšglement Dublin. LâAllemagne est un Ătat Dublin dotĂ© dâune infrastructure semblable Ă la Suisse. Telawat Telwazei aimerait savoir ce quâil se passerait sâil y retournait et revenait tout de suite aprĂšs en Suisse.»
Le service juridique de lâOSAR conseille beaucoup de cas Dublin
«Nous recevons beaucoup de demandes relatives au rĂšglement Dublin», dĂ©clare Adriana Romer, juriste Ă lâOSAR. Dans le cas dâun retour en Suisse, une nouvelle procĂ©dure Dublin serait trĂšs vraisemblablement engagĂ©e. Si la personne concernĂ©e risque effectivement dâĂȘtre expulsĂ©e dans son pays dâorigine oĂč elle doit sâattendre Ă des persĂ©cutions, la Suisse devrait entrer en matiĂšre sur sa demande dâasile Ă cause de ses engagements en matiĂšre de droits humains et la traiter en Suisse. Les refoulements dits en chaĂźne sont interdits. Mais il est extrĂȘmement compliquĂ© de rendre crĂ©dible le fait que le refoulement en chaĂźne implique un danger bien rĂ©el.Il y a longtemps que lâOSAR critique lâapplication trĂšs restrictive du rĂšglement Dublin. «Nous voyons souvent des cas dans lesquels le rĂšglement Dublin implique une atteinte trĂšs grave Ă la vie de la personne concernĂ©e, souligne Adriana Romer, par exemple quand des familles sont sĂ©parĂ©es ou quand des personnes sont livrĂ©es Ă des Ătats qui imposent des conditions dâaccueil inacceptables, comme la Bulgarie par exemple. LâidĂ©e de base de Dublin est que les conditions sont les mĂȘmes dans tous les pays impliquĂ©s. Or, ce nâest pas la rĂ©alitĂ©.» LâOSAR demande que la Suisse utilise davantage la marge de manĆuvre humanitaire Ă lâintĂ©rieur du rĂšglement Dublin.