Interview et photo : Barbara Graf Mousa, rédactrice à l’Organisation suisse d'aide aux réfugiées (OSAR)
Josephine Liebl, quelle est la position de l’ECRE concernant l’état actuel du pacte européen sur la migration et l’asile ?
« La position de l’ECRE sur le pacte est claire : pour nous, “pas de réforme plutôt que cette réforme” ! Beaucoup de propositions reposent sur la logique selon laquelle les personnes concernées n’ont pas du tout besoin de protection. Or, la majorité des personnes réfugiées en Europe reçoivent une protection en première ou deuxième instance. Nous critiquons les durcissements continus des procédures d’asile et leur externalisation vers les frontières extérieures, qui augmentera encore les violations des droits humains et restreint considérablement le droit d’asile. Les règles prévues par le pacte sont aujourd’hui devenues tellement complexes que nous doutons fortement de leur applicabilité. »
Auriez-vous un exemple ?
« Pour les procédures d’asile accélérées prévues aux frontières extérieures de l’UE, de nombreux États membres doivent par exemple transférer l’intégralité de leurs infrastructures d’asile sur place. Quant à savoir si et dans quel délai cela sera possible d’un point de vue logistique, le mystère reste entier. En plus, les négociations politiques au sein du Conseil n’ont fait que compliquer encore davantage des propositions déjà nébuleuses. Un nombre minimal de personnes dont la procédure d’asile doit être traitée aux frontières extérieures a par exemple été introduit. De nombreuses propositions sont aussi irréalistes par rapport à ce que nous observons dans la pratique, poar exemple la procédure dite de filtrage, censée vérifier et catégoriser le besoin de protection de toutes les personnes requérantes en cinq jours seulement. Nous doutons que les États membres enverront à leurs frontières extérieures suffisamment de spécialistes disposant de l’expertise professionnelle requise. Dans ces conditions, il devient pratiquement impossible de vérifier les motifs individuels d’exil et de mener des examens minutieux au cas par cas. Les violations du principe de non-refoulement, qui consiste à ne pas expulser une personne vers un pays dans lequel elle est en danger, augmenteront. »
Quels intérêts des personnes réfugiées l’ECRE défend-il en priorité dans la situation politique européenne actuelle ? Qu’est-ce qui se trouve au premier plan ?
« Nous aspirons simplement à un régime d’asile fonctionnel en Europe et cherchons à influencer le monde politique et la pratique de l’UE en ce sens. Les actions de l’Europe ont aussi des conséquences sur les droits des personnes réfugiées en dehors de ses frontières. Il s’agit de promouvoir les droits de ces personnes et de réduire les expulsions forcées. Nous combattons toutes les mesures qui compliquent l’accès à l’asile, en rappelant la facilité avec laquelle les nombreuses personnes réfugiées d’Ukraine ont été accueillies, les chances offertes dans un contexte de pénurie de personnel qualifié et le vieillissement de la population de nombreux États européens. Nous jugeons disproportionné que les organes de l’UE focalisent leur politique de l’asile sur le rejet et le renvoi. »
Qu’est-ce qui explique les tendances actuelles de la politique européenne en matière d’asile ?
« Elles montrent à quel point l’extrême droite a réussi à instrumentaliser la question en entraînant les partis de centre-droit dans son sillage. Ces groupes assimilent la migration à une crise et cette idée s’est malheureusement ancrée dans les esprits. Il est interpellant que l’Europe aille chercher de la main-d’œuvre qualifiée dans des pays tiers plutôt que de former des personnes réfugiées et immigrées à l’intérieur de ses frontières. Beaucoup de personnes très qualifiées ne voient pas nécessairement l’Europe comme une destination si attrayante ; leur point de vue ne rejoint pas l’idée que certains États européens se font de la situation. »
Au début du mois de juin 2023, les ministres de l’Intérieur des États membres de l’UE ont approuvé les propositions de réforme du régime d’asile européen commun (RAEC). Fin juin, de nouveaux durcissements portant atteinte aux droits humains et au droit international sont venus s’y ajouter avec le règlement relatif aux exceptions dans les situations de crise et d’instrumentalisation et en cas de force majeure. Comment l’ECRE réagit-il à ces récents développements ?
« Il faut faire barrage aux pires propositions et ce règlement sur les exceptions en fait partie. Une lettre de protestation cosignée par l’OSAR ainsi que d’autres activités de différentes organisations européennes du domaine de la migration et de l’asile ont été mises en place à cet effet. Pour les autres règlements, nous cherchons à limiter la casse dans le cadre des négociations en trilogue, qui visent à aplanir les divergences de position. Cela concerne les procédures d’asile, la gestion de l’asile et de la migration et l’examen préliminaire des ressortissant-e-s d’États tiers aux frontières extérieures. »
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
« Concrètement, les prochaines élections du Parlement européen auront lieu en juin 2024, après quoi une nouvelle Commission européenne sera constituée. Nous faisons pression en faveur de la cause des personnes réfugiées en influençant les programmes des partis politiques. Nous examinons les objectifs et priorités des partis pour la prochaine législature et encourageons les personnes à aller voter en menant un travail de sensibilisation. À l’été 2024, après les élections, il s’agira de préparer des questions pour les auditions des membres nouvellement élus de la Commission. »
Quelle pertinence la politique européenne de l’asile revêt-elle pour la Suisse, en tant qu’État non membre de l’UE mais faisant partie des quatre États associés de l’espace Dublin ?
« La Suisse est par exemple liée à la politique européenne en matière d’asile par son statut de membre du conseil d’administration de Frontex, par son rôle d’observateur au conseil d’administration de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) et au sein du Réseau européen des migrations. En tant que l’un des quatre États associés de l’espace Dublin, elle assume aussi la politique européenne en matière d’asile et ses conséquences. Cela veut dire que ce qui se passe dans la politique d’asile en Suisse ne peut être envisagé indépendamment des frontières extérieures de l’UE. De même, tout comme les autres États Dublin, la Suisse assume la coresponsabilité de ce qui se passe aux frontières extérieures de l’Europe. »
Consultez également l’avis de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés « Procédure d’asile aux frontières extérieures de l’Union européenne : la protection des personnes réfugiées doit être placée au centre » du 23 mai 2023.
Le Conseil européen des réfugiés
Le European Council on Refugees and Exiles (ECRE) est une alliance de 117 organisations de la société civile de 40 pays européens. Le secrétariat de Bruxelles emploie 16 personnes dans trois domaines d’activité :
- assistance juridique et gestion des procédures (The European Legal Network on Asylum ELENA et The European Database of Asylum EDAL)
- représentation des intérêts (The Asylum Information Database AIDA)
- communication (Weekly Bulletin, une infolettre hebdomadaire sur la situation en matière d’asile dans les différents pays européens)