L’OCA a demandé son opinion à notre juriste Adriana Romer - AsylNews 04/2020
L’UE cherche à réformer le Régime d’asile commun européen (RAEC), qui vise à préserver les droits de l’homme et à protéger la dignité humaine. C’est du moins ce qu’indiquent les propositions de nouveau Pacte sur la migration et l’asile publiées le 23 septembre par la Commission européenne. Or l’examen de leur contenu révèle qu’il s’agit de promesses creuses. Le Régime d’asile commun européen ne fonctionne pas, tout le monde s’accorde à le dire. Le consensus européen s’effrite dès qu’on cherche à localiser les difficultés. On constate alors que chaque État défend ses intérêts particuliers, que le monde politique est en décalage complet avec la réalité et que la solidarité n’est qu’un vain mot.
Partenariats solidaires axés sur le renvoi
La solidarité implique de rester inconditionnellement unis, sur la base d’idées et d’objectifs communs. Les États ont toutefois des avis divergents sur la politique migratoire – personne n’est du même avis. Aussi les objectifs partagés reposent-ils sur le plus petit dénominateur commun, soit la défense, la dissuasion et les externalisations. Ces priorités marquent aussi le nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Il renferme certes un «mécanisme de solidarité», prévu pour les périodes de «forte pression migratoire». Mais la solidarité peut aussi bien signifier ici l’accueil de migrants que le soutien à leur expulsion par un parrainage en matière de retour. Les priorités définies dans ce contexte sont les procédures aux frontières, le renforcement de Frontex, ainsi qu’une collaboration accrue avec les pays de provenance ou de transit, comme la Turquie et la Libye. Nul ne sait comment la Commission a pu se convaincre qu’en adoptant de nouvelles dispositions réglementaires, un système ayant échoué en raison du non-respect de ses règles, d’une part, et de l’absence de soutien politique des États membres, d’autre part, allait subitement fonctionner.
Mise en Ĺ“uvre de ce qui existe dĂ©jĂ
Les dispositions actuelles du RAEC ne sont certes pas parfaites. Il renferme toutefois toutes les bases juridiques nécessaires à un système efficace, offrant des possibilités de solidarité interétatique. Sous le règlement Dublin III, un de ses piliers, un partage volontaire des responsabilités est tout à fait possible et, en exploitant leur marge de manœuvre, les États pourraient se montrer humains, généreux et solidaires. Ce n’est qu’une question de volonté politique. Or la Suisse se montre hésitante dans ce domaine.
Système des systèmes
Ni les retouches ponctuelles, ni de nouveaux règlements ne viendront à bout du problème fondamental des propositions de nouveau Pacte européen sur la migration: il manque au RAEC une base commune. Ce n’est qu’un système des systèmes – une tentative vouée à l’échec d’harmoniser les approches respectives des États membres de l’UE, dont l’attitude à l’égard des réfugiés diffère autant que les systèmes nationaux de protection sociale. Autrement dit, même lors de violations des droits de l’homme clairement documentées, l’UE se montre impuissante et démunie – soit que les autorités croates repoussent brutalement les requérants d’asile (push-back), ou que la Hongrie refuse de couvrir leurs besoins fondamentaux, ou encore que l’Italie ou Malte refusent de laisser accoster les bateaux transportant les personnes sauvées d’un naufrage, ou enfin que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) se livre elle-même à des opérations de push-back en mer Égée.
Accueil helvétique à dose homéopathique
L’Europe se soustrait à ses responsabilités – et la Suisse se vante d’accueillir un contingent de quelques dizaines de mineurs non accompagnés provenant de Grèce, qui lui aurait de toute façon été imposé par le règlement Dublin-III. La Suisse officielle souligne son hospitalité, tout en la soumettant à une solution globale au niveau européen. C’est loin d’être suffisant. Le nombre de demandes d’asile est en constant recul depuis des années, et en 2020 elles étaient tombées à 7753 à fin septembre. D’où une marge de manœuvre pour davantage de solidarité – avec les États membres de l’UE submergés, et en particulier avec les personnes en fuite victimes de la saturation des structures
étatiques ou des réticences politiques.
Perspectives
On ignore encore dans quelle mesure et sous quelle forme le nouveau Pacte européen va entrer en vigueur, et les négociations risquent de traîner en longueur. L’attitude de l’Espagne et surtout celle de l’Italie seront déterminantes pour les futures discussions à Bruxelles. La Suisse participe aux négociations, sans droit de vote certes, mais à titre consultatif. Elle devrait en profiter pour insister sur le respect des droits humains et de la dignité humaine – tout en montrant l’exemple par une solidarité agissante et non purement symbolique.
La protection des personnes et de leurs droits est prioritaire
Au lieu de se focaliser sur les retours et de se barricader, l’Europe ferait mieux de se consacrer à la préservation de ses acquis et au développement de ses normes dans le domaine de l’asile et des droits de l’homme. Il faut stopper l’hécatombe et les violations systématiques des droits humains aux portes de l’Europe. À cet effet, il faudrait établir des corridors légaux et sécurisés, afin que plus personne ne doive entreprendre un voyage aussi dangereux. Loin de résoudre les choses, les arrangements avec des pays comme la Libye ou la Turquie sont problématiques et il faut y renoncer, et en aucun cas poursuivre dans ce sens. L’heure est à des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée dignes de ce nom, sous la conduite de l’UE et avec son appui financier. La priorité absolue est la protection des individus et de leurs droits. En tant que prix Nobel de la paix, l’UE devrait s’en souvenir et agir en conséquence. Le jour où les valeurs fondamentales communes seront à nouveau à l’honneur, alors seulement l’Europe pourra envisager des pactes communs et appliqués par tous les pays.