La Turquie avait pourtant été en 2011 le premier État signataire de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique – dite d’Istanbul. Ce traité - aujourd’hui signé par 46 pays et ratifié par 34, dont la Suisse en 2018 - vise à prévenir, poursuivre et éliminer toutes les formes de violences à l’égard des femmes et de la communauté LGBTQI.
Cette décision est avant tout un pas en arrière pour les femmes et personnes LGBTQI turques, de plus en plus victimes de violences de genre depuis la tentative de coup d’État en juillet 2016 en Turquie. Elle intervient quelques jours avant le sommet européen des 25 et 26 mars, apparaissant ainsi comme une nouvelle provocation du président Erdogan face à ces partenaires européens.
En se retirant du traité, le président turc choisit d’abandonner les efforts visant à protéger les victimes de violence de genre et se libère des enquêtes indépendantes du Conseil de l’Europe, qui pouvaient jusqu’à alors exercer une pression internationale à son encontre.
Dans un rapport publié en octobre 2018, le GREVIO (le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l’Europe), s’est montré très critique à l’égard de la situation des victimes de violence sexiste en Turquie. Il y met en avant les limites de l’État turc à pouvoir protéger les victimes de violences domestiques et soulève que les réponses apportées aux formes de violences sont souvent faibles et partielles.
Impact sur la Suisse
Du point de vue de l’OSAR, la sortie de la Turquie du traité d’Istanbul devrait conduire les autorités suisses – à savoir le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) et le Tribunal administratif fédéral (TAF) – à reconsidérer leur pratique vis-à -vis des requérant-e-s d’asile d’origine turque, victimes de violence de genre.
La ratification de la Convention d'Istanbul est souvent mentionnée par les autorités suisses – à tort – comme une raison valable pour confirmer la volonté et la capacité de l'État d’origine du requérant à protéger la victime, sans que le TAF ne conduise d’analyse sur la manière dont la convention est réellement mise en œuvre dans la pratique. En ce qui concerne la Turquie et du point de vue de l’OSAR, les autorités suisses devraient évaluer le risque réel de privation de la vie, de torture ou de traitements inhumains avant de rejeter une demande d’asile et de se prononcer sur un renvoi vers la Turquie.
Pour les États ayant ratifié la Convention d’Istanbul, l’OSAR observe que les rapports GREVIO ne sont que très peu utilisés par les représentant-e-s du SEM et du TAF dans leur pratique, et ce, malgré l’entrée en vigueur de la convention en 2018 en Suisse. Elle regrette en outre que les autorités suisses ne vérifient que de manière superficielle la capacité et la volonté de protection de l’État d’origine des personnes requérantes d’asile, surtout lorsqu’il s’agit d’États membres de l’espace Schengen ou des Balkans. Elles doivent pourtant examiner attentivement la situation spécifique de chaque personne requérante d’asile.
La revue spécialisée «Asyl» a consacré son numéro 4/20 à la Convention d'Istanbul.